Réserve internationale de ciel étoilé du Mont-Mégantic

par Legris, Chloé

Panneau de la Réserve internationale du Mont-Mégantic

La région du mont Mégantic a été reconnue comme la première réserve internationale de ciel étoilé au mois de septembre 2007, par l'International Dark Sky Association. Cette certification vise à reconnaître le leadership de la région pour la préservation et la restauration du ciel étoilé qui constitue l'une de ses grandes richesses naturelles. L'ASTROLab, l'observatoire et le parc national du Mont-Mégantic ont uni leurs efforts pour mettre en œuvre un projet mobilisateur, soutenu par une campagne de sensibilisation, l'adoption de règlements dans 34 municipalités et assorti d'un ambitieux programme de conversion de l'éclairage, afin de préserver la qualité du ciel nocturne de la région. Grâce au contrôle de la pollution lumineuse, la pérennité des activités de recherche, d'éducation et de tourisme en astronomie offertes au mont Mégantic est assuré. Désormais, cette région préserve officiellement un important patrimoine scientifique, culturel, paysager et environnemental.

 

Article available in English : Mont-Mégantic International Dark Sky Reserve

Une nouvelle forme de pollution : la lumière!

Banlieue de Toronto, sans et avec éclairage nocturne

Jusqu'au XIXe siècle, l'éclairage nocturne n'était assuré que par la lune, des torches et de modestes lanternes. Depuis, l'avènement de l'électricité a favorisé l'implantation de systèmes d'éclairages nocturnes permanents, qui ont peu à peu généré de la pollution lumineuse. C'est ainsi que l'on désigne toute modification de l'état naturel de l'environnement nocturne et toute nuisance provoquée par l'utilisation inadéquate et abusive de l'éclairage artificiel. Les conséquences sont multiples : voilement du ciel étoilé, dégradation des paysages nocturnes, dérèglement des écosystèmes, éblouissement, lumière intrusive, demande énergétique accrue.


Il est estimé que la pollution lumineuse croît de façon exponentielle (NOTE 1) depuis quelques décennies, si bien qu'aujourd'hui la nuit est en voie de disparition au sein des sociétés industrialisées.

Le voilement des étoiles

Le voilement des étoiles est l'une des conséquences importantes de la pollution lumineuse. Cette situation perturbe le travail des astronomes et prive les citadins de la beauté du ciel étoilé et des paysages nocturnes. Aujourd'hui, il faut s'éloigner à quelques centaines de kilomètres des centres urbains pour bien percevoir la Voie lactée. Dans les grandes villes du monde, près de 97% des étoiles ne sont plus visibles. Par exemple, le ciel de la région de Montréal ne laisse plus voir qu'une centaine d'étoiles, alors que dans la région du mont Mégantic, il est possible d'en contempler plus de 3000 à l'œil nu!

Au-delà du fait que le ciel étoilé et la nuit sont en voie de disparition au sein des sociétés industrialisées, la pollution lumineuse dégrade considérablement les paysages nocturnes, au grand dam des citadins. Les nuits deviennent journées et l'horizon, délavé, est parsemé de multiples points lumineux qui agressent le regard de quiconque espère profiter d'une promenade au clair de lune.

La nuit est essentielle à la vie

De tout temps, les êtres vivants ont su tirer parti des bienfaits offerts tant par les environnements diurnes que nocturnes. Il n'est donc pas surprenant que la pollution lumineuse, qui se traduit littéralement par la disparition de la nuit, puisse avoir des incidences néfastes sur la santé humaine ainsi que sur les écosystèmes. La perte des cycles jour/nuit (rythme circadien) et la présence de lumière artificielle dans l'environnement ont de multiples conséquences, dont :

  • Inhiber la production des certaines hormones, dont la mélatonine. Cette hormone est produite uniquement pendant la nuit et sa production est supprimée par la présence de lumière. La mélatonine contribuerait à limiter la croissance de certaines cellules cancéreuse et son inhibition serait également responsable de troubles de sommeil chez l'être humain;
  • Perturber les mœurs nocturnes de la plupart des animaux, au point parfois de les conduire à quitter leur habitat naturel;
  • Mener à leur perte plusieurs insectes qui, attirés par la lumière, sont tués par les ampoules non protégées, ou sont mangés par des prédateurs qui les trouvent ainsi plus facilement. Ceci engendre un déséquilibre dans la chaîne alimentaire.

Bien qu'il reste encore beaucoup de recherches à faire sur le sujet, il est clair que la communauté scientifique spécialisée dans la biologie, l'écologie, la chronobiologie et l'endocrinologie, étudie ce phénomène avec un intérêt plus grand que jamais (NOTE 2). La nuit est bel et bien en voie de disparition au sein des sociétés industrialisées et de multiples problèmes encore mal compris sont rattachés à cette disparition.

Une dépense énergétique accrue

Pollution lumineuse dans le monde

En Amérique du Nord, l'énergie lumineuse qu'on dépense pour éclairer inutilement le ciel s'élève chaque année à près d'un milliard de dollars. Cette énergie est purement gaspillée et contribue à augmenter l'émission des gaz à effet de serre lorsque l'électricité est produite par les combustibles fossiles, ce qui est généralement le cas.

Au Québec, zone géographique réputée pour générer le plus de lumière par habitant au monde, les économies qui pourraient résulter d'une meilleure gestion de l'éclairage sont estimées à plus de 700 gigawattheure annuellement, ce qui représente l'énergie consommée par environ 20 000 maisons chauffées à l'électricité.

L'environnement nocturne, un patrimoine

Le téléscope de Hevelius

Depuis le début des temps, le ciel étoilé fascine et inspire l'être humain. Sa contemplation a été une composante essentielle de l'évolution de toutes les civilisations, en plus d'être à l'origine de notre compréhension actuelle de l'Univers. L'observation du ciel étoilé a largement contribué à l'avancement des sciences et des technologies, tout en étant une source intarissable d'inspiration pour les poètes, les peintres, les philosophes et bien d'autres penseurs et artistes, comme l'attestent ces commentaires.

  • « En effet, les jours, les nuits, les mois et les années n'existaient pas avant que le ciel fût né. » Platon
  • « Par l'espace, l'Univers me comprend et m'engloutit; par la pensée, je le comprends. » Pascal
  • « L'univers m'embarrasse, et je ne peux songer que cette horloge existe et n'ait point d'horloger. » Voltaire
  • « Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c'est doux, la nuit, de regarder le ciel. » Le Petit Prince
  • « La chose la plus belle qui soit est le mystère de l'Univers, berceau de l'art et de la science » Albert Einstein
  • « Chacun de nous est une lune, avec une face cachée que personne ne voit. » Mark Twain
  • « L'être humain prend conscience de l'Univers qui l'entoure et s'émerveille de son ordre et de sa beauté. » Hubert Reeves

L'astronomie, mère de toutes les sciences parce que la plus ancienne, nous a permis de nous situer dans l'espace (exploration, chasse, navigation) et dans le temps (calendriers, saisons, agriculture). C'est grâce à l'astronomie que l'on sait :

  • que la Terre est ronde et que nous ne sommes pas le centre du monde;
  • où l'on habite (système solaire, galaxie);
  • l'histoire de l'Univers (notre histoire!);
  • interpréter l'évolution du climat qui joue un rôle fondamental dans la vie des êtres humains.
L'observatoire du Mont-Mégantic

Selon Steve MacLean, astronaute de l'Agence spatiale canadienne, chaque dollar investi en astronomie et en exploration spatiale au Canada génère 10$ de retombées, notamment grâce au développement d'une expertise technologique profitant au secteur privé. Par exemple, les répercussions techniques liées au développement de l'optique et de l'imagerie numérique (capteur CCD), sont dues pour l'essentiel à l'astronomie.

L'astronomie est une science qui suscite encore aujourd'hui l'émerveillement de tous, grands et petits, par ses multiples retombées. Cependant, l'accès à la voûte céleste et à l'observation astronomique sont de plus en plus menacés en raison de la perte progressive de la nuit. Un peu partout à travers le monde, ce sont les astronomes qui ont d'abord sonné l'alarme face à la « pollution lumineuse », une problématique causée par une mauvaise gestion de notre énergie. La qualité du ciel nocturne se dégrade à un rythme effréné depuis les vingt dernières années. Cette détérioration entraîne de nombreux pays et organisations internationales à considérer l'environnement nocturne et le ciel étoilé comme une partie intégrante du patrimoine mondial environnemental, paysager, scientifique et culturel, qu'il faut préserver.

La réserve internationale de ciel étoilé du Mont-Mégantic

Entre 2003 et 2009, l'ASTROLab du Mont-Mégantic a chapeauté le projet de lutte contre la pollution lumineuse dans la région limitrophe afin de préserver la qualité du ciel étoilé et d'assurer la pérennité des activités de recherche, d'éducation et de tourisme en astronomie qui se retrouvent au mont Mégantic.

Pollution lumineuse telle que vue du mont Mégantic


Comme ces activités reposent sur l'observation astronomique, la protection du ciel étoilé revêt une importance cruciale dans la région du mont Mégantic. L'éloignement géographique ne la protège malheureusement pas, car la pollution lumineuse à l'ASTROLab du Mont-Mégantic a plus que doublé entre 1978 et 1998. Lors de sa construction en 1979, la brillance du ciel nocturne était de 25 % supérieure à sa valeur naturelle alors qu'elle était de 50% en 1998 : le ciel de nuit était donc 2 fois plus « lumineux » qu'en 1979. Une croissance annuelle de la pollution lumineuse, de l'ordre de 5 à 10 %, risquait de compromettre la rentabilité scientifique et la vocation de l'ASTROLab. C'est pourquoi le projet de réserve du ciel étoilé a été développé.

Carte des trois zones d’intervention de la Réserve internationale de ciel étoilé

Grâce à un ambitieux plan d'action centré sur la sensibilisation, la réglementation municipale et la conversion de l'éclairage, la région a été reconnue en septembre 2007 comme la première Réserve internationale de ciel étoilé (RICE) au monde par l'International Dark Sky Association.

La Réserve du Mont-Mégantic couvre une superficie de près de 5 500 km² et englobe 34 municipalités. Elle est centrée sur le parc national et l'Observatoire du Mont-Mégantic et s'étend sur un rayon de 50 km autour du parc. Elle comprend également la ville de Sherbrooke, située à 60 km à vol d'oiseau. Les zones d'intervention ont été déterminées en fonction de leur contribution respective à la pollution lumineuse mesurée au sommet du mont Mégantic.

Les actions de sensibilisation menées auprès des pouvoirs publics et de la population ont permis de faire prendre conscience à tous (grand public, acteurs politiques, fabricants, distributeurs, urbanistes, architectes, ingénieurs, électriciens,...) des enjeux et des impacts positifs du projet de lutte contre la pollution lumineuse. De multiples rencontres avec les décideurs politiques, des séances de formation destinées aux différents professionnels impliqués dans des projets d'éclairage, la création de divers outils de sensibilisation et d'importantes opérations de relations publiques dans les médias sont autant d'éléments qui ont contribué au succès collectif de ce projet. La région s'est réapproprié cette richesse que représentent la qualité du ciel étoilé et les activités qui s'y rattachent.

Il s'est avéré essentiel de travailler en sensibilisation avant de faire adopter la réglementation par les 34 municipalités de la Réserve. Celle-ci a été adoptée progressivement par les MRC (municipalités régionales de comté) concernées entre 2005 et 2007. Bien qu'elle ne soit pas rétroactive, la réglementation permet de garantir la qualité des futures installations et s'avère donc nécessaire avant qu'un vaste programme de conversion de l'éclairage public et privé ne soit entrepris. Ainsi, le programme de conversion de l'éclairage a permis de restaurer le ciel étoilé en remplaçant 3 300 luminaires inadéquats dans la première zone d'intervention. En plus de réduire la pollution lumineuse d'environ 25%, cette intervention a permis d'économiser 1 800 000 kilowattheure d'énergie par année.

Scierie Ditton avant le programme de conversion de l'éclairage
Scierie Ditton après le programme de conversion de l'éclairage

Les commentaires recueillis auprès des chercheurs de l'Observatoire du Mont-Mégantic et des résidents de la région sont manifestes. Le fondateur de l'ASTROLab, Bernard Malenfant, est enthousiaste : « Nous n'observons plus de dôme lumineux au-dessus de ces municipalités lorsque le ciel est couvert de nuages. Nous devons également reprendre l'habitude de nous promener autour de l'observatoire avec une lampe de poche. C'est incroyable! J'ai retrouvé le ciel d'il y a 30 ans! »

Les bonnes pratiques d'éclairage

La réglementation sur l'éclairage nocturne et le programme de conversion de l'éclairage mis en place au cœur de la Réserve se basent sur quatre principes simples qui favorisent :

  1. Des ampoules efficaces et respectueuses du ciel étoilé (NOTE 3);
  2. Des luminaires offrant un contrôle optimal de la lumière qui dirigent celle-ci uniquement vers le sol et non vers le ciel ;
  3. Une quantité de lumière suffisante en limitant les puissances excessives;
  4. Le contrôle des heures d'utilisation.

Toutefois, avant le remplacement ou l'ajout de lumière, il convient d'évaluer les besoins réels. Bien que l'éclairage nocturne réponde au besoin de voir et d'être vu, il faut quand même se poser la question suivante: avons-nous vraiment besoin d'éclairer? Lorsque la réponse est positive, il est impératif de se questionner également sur les besoins réels :

  • Quoi? Quelles surfaces ou quels objets doivent être éclairés?
  • Combien? Quel est l'éclairement requis ?
  • Quand? L'éclairement est-il nécessaire en tout temps?

De plus, afin de produire un éclairage efficace, sécuritaire et de qualité, il faut limiter toute forme d'éblouissement de l'œil que peut provoquer l'éclairage. L'éblouissement se produit lorsque les yeux sont exposés à un éclat lumineux intense (ampoule nue, trop puissante ou mal dirigée) qui provoque la fermeture de la pupille ou lorsqu'il y a un contraste important entre l'éclairage principal et l'éclairage des zones plus sombres. La perception visuelle est optimale lorsque l'éclairage est uniforme, alors que l'éblouissement la diminue considérablement. L'éclairage qu'offre un soir de pleine lune illustre très bien l'équilibre recherché : l'éclairage est faible, mais uniforme et non éblouissant. L'œil s'adapte ainsi à son environnement lumineux, ce qui lui permet de bien voir.

De plus, les modifications apportées dans la région du mont Mégantic ont été généralement très bien reçues et le sentiment de sécurité des populations locales a été préservé. L'éclairage est moins agressant, plus sobre et donne davantage de cachet aux rues et aux commerces des villages. De loin toutefois, les dômes lumineux au-dessus de ces villages ont pratiquement disparu et le ciel étoilé de la région est plus magnifique que jamais!

Village de La Patrie avant la conversion des éclairages (2006)
Village de La Patrie après la conversion des éclairages (2008)

 

Un exemple à suivre

La préservation de la nuit est une préoccupation grandissante à travers le monde. La région du mont Mégantic figure parmi les premiers endroits au monde à déployer une volonté réelle et durable de protéger l'obscurité naturelle, tout en respectant les besoins et la sécurité des populations. Espérons qu'elle saura devenir une région modèle qui en influencera d'autres!

Chloé Legris, ing.
ASTROLab du Mont-Mégantic

NOTES

1. Recherches effectuées par Pierantonio Cinzano, de l'Institut des sciences et technologies sur la pollution lumineuse. Voir Pierantonio Cinzano, « Growth of Light Pollution in Italy », Light Pollution in Italy [en ligne], http://www.lightpollution.it/cinzano/en/page94en.html.

2. Pour de plus amples renseignements, le livre Ecological Consequences of Artificial Night Lighting constitue une revue de littérature des recherches effectuées sur le sujet. On peut en lire un résumé dans l'article de Travis Longcore et Catherine Rich, « Ecological Light Pollution », Frontiers in Ecology and the Environment [en ligne], vol. 2, no 4, mai 2004, p. 191-198, http://www.astrolab-parc-national-mont-megantic.org/files/pollution_lumineuse/LongcoreRich2004.pdf. Une série d'articles sur la santé et les troubles du sommeil peuvent être consultés sur le site de l'ASTROLab [en ligne], http://www.astrolab-parc-national-mont-megantic.org/files/pollution_lumineuse/Article_IDA.pdf.

3. Certains types d'ampoules sont interdites, alors que d'autres sont tolérées si leur puissance demeure faible. La lumière blanche, comme celle émise par les ampoules au mercure ou aux halogénures métalliques, comporte une forte proportion de longueurs d'onde bleues. Ces longueurs d'onde sont réfléchies environ quatre fois plus dans l'atmosphère que les longueurs d'onde émises par une lumière jaune, comme celle des ampoules au sodium haute pression. La lumière blanche endommage plus la qualité du ciel nocturne et nuit davantage à l'observation des étoiles.

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