Collection Paul-Provencher, histoire et mémoire de la Côte-Nord

par Gauthier, Serge

Ile à Smith, 1976

Héritage patrimonial de grande valeur, la collection Paul-Provencher est actuellement conservée au Musée régional de la Côte-Nord situé à Sept-Îles, au Québec. Elle se compose de photographies, de diapositives, d’objets personnels et de peintures, qui forment autant de témoignages exceptionnels de la Côte-Nord d’une autre époque. Dans cette abondante collection, les huiles et les aquarelles de Provencher constituent un ensemble artistique et documentaire remarquable, tandis que les objets rattachés à ses expéditions et à ses activités de chasse revêtent aussi un grand intérêt, révélant la vie amérindienne nord-côtoise et tout particulièrement les activités traditionnelles des Montagnais (Innus). Cette collection s’avère donc un précieux témoignage de l’histoire mais surtout du patrimoine naturel et culturel de cette région du Québec.

 

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Un homme, une région

La baie de Kécarpoui, en Basse-Côte-Nord, 1897

Dès le début du XXe siècle, le développement accru de l’industrie forestière au Québec va progressivement engendrer la conquête de nouveaux territoires et l’exploitation de leurs ressources. Dans ce contexte, l’immense secteur de la Côte-Nord, qui s’étend de Tadoussac sur la rivière Saguenay à Blanc-Sablon près de Terre-Neuve, s’annonce prometteur pour la grande industrie qui cherche alors à s’y installer. Territoire amérindien longtemps isolé, la Côte-Nord devient, dans le second quart du XXe siècle, le site d’un développement économique intense.

À cette époque, l’ingénieur forestier Paul Provencher devient une figure d’envergure régionale et même nationale, en s’inscrivant dans la découverte de ce territoire immense tout autant que dans la rencontre du monde amérindien. Provencher favorise aussi la reconnaissance de pratiques anciennes remises en lumière dans cette véritable épopée moderne que fut l’exploitation industrielle des ressources naturelles de la Côte-Nord. À ce titre, il s’impose tout à fois comme ingénieur au service de la grande industrie, ethnographe, artiste-peintre et sportsman. Le cinéaste Jean-Claude Labrecque va même consacrer deux films à l’œuvre ethnographique de Provencher en 1979, sous les titres « Le dernier coureur des bois » et « Les Montagnais ».

Alène et fil de cordonnier traité au brai pour coudre le cuivre

Mais surtout, au fil des ans, Provencher a accumulé une somme importante de témoignages : la collection Paul-Provencher, conservée au Musée régional de la Côte-Nord, recèle près de 150 photographies, films, objets personnels et œuvres d’art rappelant l’histoire et le mode de vie de la Côte-Nord du second tiers du XXe siècle. On y trouve notamment ses cartes comportant des indications géographiques précieuses, son arc de chasse, des pièges, des boussoles et autres accessoires. En plus de laisser découvrir l’homme que fut Paul Provencher, sa collection livre un précieux témoignage- l’un des seuls que nous possédions pour cette période- des paysages et des pratiques traditionnelles de la Côte-Nord. À ce titre, la collection Paul-Provencher s’avère donc exceptionnelle.

 

Ingénieur forestier et ethnographe

Joseph Benoît et Paul Provencher consultant une carte géographique de terrain de chasse, vers 1943

Paul Provencher naît à Trois-Rivières le 3 juillet 1902. Il est le fils d’Adélard Provencher, avocat, et de Bernadette Genest. Bien que Trois-Rivières soit à cette époque le fer de lance de l’industrie forestière, le jeune Provencher est d’abord peu en contact avec cet univers.  Toutefois, suite à l’incendie de la résidence de ses parents, il demeure un temps sur une ferme et ressent dès lors l’appel de la nature.

Provencher fait ses études au Séminaire de Trois-Rivières, puis à l’Université Laval en foresterie où il obtient un diplôme d’ingénieur en 1925. Il travaille ensuite pour différentes compagnies forestières pour lesquelles il réalise des inventaires forestiers sur divers territoires notamment en Mauricie et sur l’île d’Anticosti. En 1929, Provencher s’installe à Baie-Comeau où il est chargé de faire des reconnaissances sur les rivières Manicouagan, Toulnustouc et Franquelin pour la Quebec North Shore and Paper. Devenu directeur des opérations forestières de l’entreprise, il travaille dans ce domaine jusqu’à sa retraite à la fin des années 1970. Bien qu’il occupe un poste de direction, Provencher ne demeure pas un simple administrateur et, par ses nombreuses expéditions guidées et accompagnées par des Innus (Montagnais) dans des secteurs isolés, il choisit d’explorer le milieu forestier encore sauvage de la Côte-Nord. Sa vie se lie ainsi très intimement à ce territoire dont il devient un véritable pionnier.

 

Découvrir les pratiques traditionnelles

Mme Ignace Picard, 78 ans, Montagnaise de Bersimis, faisant cuire la banique à Manicouagan, 1934,

Dans les années 1930, une partie de la population de la Côte-Nord demeure assez peu en contact avec le reste du territoire québécois. C’est donc un milieu plutôt préservé du modernisme que Paul Provencher apprend à connaître à ce moment. Son cheminement particulier prend ainsi une perspective ethnographique très significative. En prévision de ses séjours en forêt, il fait rencontre de chasseurs nomades amérindiens. Parmi ces personnages locaux très typiques, Joe « Uapistan » Savard et Ti-Basse Saint-Onge sont parmi les plus remarquables.

Des techniques transmises par ces chasseurs à Provencher, il faut signaler celles servant à allumer un feu à l’ancienne, à construire un abri et à identifier les ressources naturelles indispensables à la vie en forêt. L’ingénieur enrichit aussi ses connaissances dans le domaine de la chasse, de la trappe et de la pêche, en privilégiant les savoirs traditionnels encore en usage chez une partie de la population de l’époque. En outre, Provencher se documente de plus au sujet de ce riche territoire et acquiert ainsi de précieuses connaissances. Il devient ainsi une référence sur la vie nordique (NOTE 1).

Provencher réalise des clichés photographiques et des films sur les populations et les lieux rencontrés au cours de ses nombreuses expéditions. Ces pièces constituent aujourd’hui un témoignage fort précieux de la vie des Innus dans les années 1930.

 

Un promoteur de la nature et des traditions culturelles innues

Rapide du Grand Nord en 1930, 1980

Au cours de sa vie, Provencher cherchera à transmettre et à diffuser les connaissances et le savoir qu’il a acquis. Il aura recours à divers moyens pour communiquer ses découvertes, notamment en donnant de nombreuses conférences. Il se fera également artiste-peintre : ses tableaux permettent de faire découvrir au grand public de nombreux sites et des paysages sauvages presque inconnus jusqu’alors, qui sont peu accessibles et même appelés à disparaître. Par exemple, certaines de ses illustrations montrent des sections de la rivière Manicouagan qui seront éventuellement totalement transformées par l’exploitation du site pour le développement hydroélectrique. Par le fait même, les œuvres de Provencher deviennent des témoignages uniques de cette nature méconnue et menacée.   

Page couverture du livre Vivre en forêt, de Paul Provencher

Sportsman reconnu, Paul Provencher déploie de grands efforts en vue de faire apprécier la pratique traditionnelle du tir à l’arc. La campagne publique qu’il mène le fait connaître un peu partout au Québec, notamment par une fréquente présence dans des articles journaux. Devenu écrivain, il publie plusieurs ouvrages, dont ses mémoires parues d’abord en anglais sous le titre I Live in the Woods en 1953 et sous le titre Paul Provencher, le dernier coureur des bois en 1974, un ouvrage rédigé avec la collaboration de l’écrivain Gilbert LaRocque. L’ensemble de sa production littéraire sur la chasse et la pêche, la vie en forêt et le monde animal reçoit une large diffusion et Provencher s’impose comme un personnage médiatique reconnu dont les activités sont largement diffusées dans la presse, à la radio et à la télévision où il apparaît à l’occasion comme chroniqueur de plein air.

Très célèbre partout sur la Côte-Nord, il est membre-fondateur de la Société Historique régionale.  Paul Provencher quitte cependant cette région pour terminer ses jours en milieu urbain. Il meurt en 1982 à Baie d’Urfé, sur l’île de Montréal. Après sa mort, sa collection personnelle sera rapatriée sur la Côte-Nord. De nos jours, il y a un lac et un ruisseau qui portent le nom de Paul Provencher dans la MRC de Manicouagan et aussi une rue à Sept-Îles, ce qui illustre bien le souvenir important laissé par Provencher dans toute la région de la Côte-Nord.

 

Un précieux héritage nord-côtois

Félix Poitras et Paul Provencher portant leurs prises, des touladis du lac Hollinger, 1943.

D’abord intimement liée au développement économique de la Côte-Nord, les activités de Paul Provencher ont grandement favorisé la conservation d’un précieux héritage régional. Ingénieur forestier, grand amateur de plein air et excursionniste en milieu sauvage, communicateur populaire, conservateur d’un savoir ancestral, soucieux d’entretenir la mémoire des choses du passé nord-côtois, Paul Provencher a su être un pionnier de cette région. Surtout, il a été capable d’en relever les traces anciennes et de les faire perdurer. Avec l’élaboration d’une collection riche et unique en son genre, Paul Provencher a constitué un témoignage unique de la mémoire du patrimoine immatériel du territoire nord-côtois.

 

Serge Gauthier, Ph.D.

Historien et ethnologue
Chercheur au Centre de recherche sur l’histoire et le patrimoine de Charlevoix

 

NOTES

1. Un exemple en ce domaine est l’apport de Paul Provencher qui, durant la Seconde Guerre mondiale, fut au service de l’armée canadienne en donnant de la formation sur la survie en milieu nordique aux soldats canadiens.

 

Bibliographie

Frenette, Pierre, « Paul Provencher dans les forêts du Nord », Histoire Québec, vol. 15, no 2, 2009, p. 29-33.

 

Livres publiés par Paul Provencher (en ordre chronologique) :

I Live in the Woods, Frédéricton, Brunswick Press, 1953, 188 p.

Vivre en forêt, Montréal, Éditions de l’Homme, 1973, 223 p.

Provencher, le dernier des coureurs de bois (en collab. avec Gilbert La Rocque), Montréal, Éditions de l’Homme, 1974, 287 p.

Mes observations sur les mammifères, Montréal, Éditions de l’Homme, 1976, 158 p.

Mes observations sur les poissons, Montréal, Éditions de l’Homme, 1976, 115 p.

Mes observations sur les insectes, Montréal, Éditions de l’Homme, 1977, 172 p.

Mes observations sur les oiseaux, Montréal, Éditions de l’Homme, 1977, 124 p.

 

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