Moulin Légaré de Saint-Eustache au Québec

par Marcotte, Léopoldine

Le moulin Légaré

Construit en 1762, le moulin Légaré est encore aujourd’hui activé par la seule force de l’eau. Dès sa construction, il a joué un rôle important dans le développement du village puisque les premiers établissements commerciaux se sont établis à proximité et que le noyau villageois s'est constitué autour du moulin. Il est actuellement la plus ancienne industrie toujours en fonction au Canada. Ce moulin à farine fonctionne grâce à ses mécanismes anciens et au savoir-faire du meunier, qui ne pourraient exister indépendamment l’un de l’autre. Lieu de rassemblement lors de fêtes et d’événements et accueillant toutes sortes d’activités culturelles et récréatives tout au long de l’année, le moulin Légaré fait partie de la vie des Eustachois depuis maintenant 250 ans. Et surtout, il contribue à préserver de manière vivante un pan important du patrimoine matériel et du savoir-faire traditionnel des anciens Canadien français.

 

 


Article available in English : The Légaré Mill in Saint Eustache, Quebec

Un patrimoine reconnu

Le moulin Légaré avant 1902

Peu de moulins à eau produisant de la farine ont réussi à survivre à la modernisation et à l’industrialisation qui ont soufflé sur l’Amérique du Nord dès la seconde moitié du XIXe siècle. Le moulin Légaré est le plus ancien moulin de la partie ouest de la seigneurie des Mille-Îles et même s’il n'a pas toujours été le plus important ni le plus productif, il est le seul qui ait subsisté puisqu’il a su s'adapter aux multiples transformations socioéconomiques.

Ce moulin à eau comprend plusieurs niveaux, chacun étant dédié à une fonction particulière liée à la production de farine. Ces éléments sont le reflet de diverses époques de construction et de son adaptation aux différents besoins à travers le temps. À l’origine, l’architecture du moulin avec son toit à deux versants, ses lucarnes et sa grande cheminée sur la façade, se rapproche du style résidentiel. Par ses caractéristiques architecturales, il est représentatif des tendances de construction des premiers moulins construits au Canada.

Animation au moulin Légaré avec guide-interprète

Depuis 1978, la Corporation du moulin Légaré tient un centre d'interprétation ouvert toute l'année. On y explique le fonctionnement des mécanismes anciens ainsi que les méthodes artisanales utilisées par le meunier pour moudre le blé et le sarrasin avec les meules de pierre d'origine. Si le moulin Légaré produit toujours de la farine selon des méthodes ancestrales, en revanche les technologies de l’information actuelles sont utilisées pour partager ce riche patrimoine. C’est pourquoi on dit qu’au moulin Légaré, « l’histoire se conjugue au présent ».  Plus de 20 000 visiteurs y viennent chaque année pour s’imprégner de son histoire et en profitent pour acheter de la farine de sarrasin ou de blé. Les caractéristiques du moulin lui ont valu d’être défendu par nombre d’experts du domaine, puis classé par le ministère des Affaires culturelles du Québec en 1976 et, enfin, désigné comme lieu historique national par le gouvernement fédéral en 2000.

 

Un moulin pas si banal

Une journée calme d'été dans les Mille Îles, fleuve Saint-Laurent, Canada, 1860

La construction du moulin s’effectue dans le contexte de fondation des infrastructures de la seigneurie des Mille-Îles, section Rivière-du-Chêne, futur Saint-Eustache. Rappelons que sous le régime seigneurial, le seigneur a entre autres l’obligation de faire construire un moulin à farine pour ses censitaires et ces derniers sont tenus de faire moudre leurs grains exclusivement au moulin de la seigneurie. Le meunier est chargé de prélever la taxe de mouture dont  une partie va au seigneur, l’autre étant conservée par le meunier comme salaire. Cette taxe est appelée la banalité : c’est pourquoi le moulin Légaré est qualifié de moulin « banal ». En vigueur dès l’époque de la Nouvelle-France, le régime seigneurial se perpétue après la Conquête : il prévaudra au Bas-Canada jusqu’en 1854, moment de son abolition officielle.

 

Histoire d’une seigneurie

Le premier seigneur de la seigneurie, Michel Sidrac du Gué de Boisbriand, meurt en 1688 sans s’être occupé de peupler son territoire. Ses héritiers ne respectant pas les clauses de la concession de la seigneurie, celle-ci retourne à la couronne en 1714. Ce n'est qu'en 1739 que la seigneurie est prise en charge par la famille Lambert-Dumont. Ainsi, le premier véritable seigneur qui participera au développement du territoire est Eustache-Louis Lambert-Dumont.

La famille Légaré au début du XXe siècle

Le moulin, construit en 1762, sera à l’origine d’une activité économique importante pour la région et jouera un rôle majeur dans le développement de ce qui va devenir Saint-Eustache. Pendant plus de 100 ans, le moulin demeure la propriété des seigneurs et descendants de la famille Lambert-Dumont. En 1865, le bâtiment passe aux mains de Charles-Auguste-Maximilien Globensky (1830-1906) qui avait épousé l’une des héritières des premiers seigneurs, Virginie-Marguerite Lambert-Dumont (1839-1874), en 1854.

En 1891, Globensky embauche le meunier Magloire Légaré qui deviendra le propriétaire du moulin en 1907. C’est le début d’une grande saga familiale puisque pendant près de 75 ans, différents membres de la famille Légaré vont tour à tour faire fonctionner le moulin. Magloire possédera l’établissement jusqu’en 1924, année de sa mort. Sa veuve, Virginie Villiotte dit Latour, hérite de tous ses biens. Elle dirigera les activités du moulin durant de nombreuses années, étant d’ailleurs l’une des rares femmes à exercer les fonctions de chef d’entreprise au début du XXe siècle. En 1953, le moulin est vendu à son fils Donat, qui bénéficie de l’aide de son frère cadet Philippe pour assurer le bon fonctionnement de l’entreprise familiale. En 1978, Donat cède le moulin à la ville de Saint-Eustache. Il meurt deux ans plus tard à l’âge de 80 ans. Philippe continue de travailler au moulin et habite la maison avec sa sœur Lucille jusqu’en 1995. La maison du meunier sera éventuellement occupée par les bureaux administratifs de la Corporation du moulin Légaré.

 

250 ans d’évolution

Les engrenages du moulin Légaré

Tandis que la fonction du moulin ne change guère au cours des années, son apparence s’est transformée à quelques reprises. Vers 1880, la roue à aube est remplacée par des turbines de marque Leffel, lesquelles sont toujours en opération. Les turbines, plus puissantes que la roue à aubes, occupent toutefois beaucoup moins d’espace. En plus du réaménagement de l’intérieur, la mise en place des turbines a pour conséquence de modifier l’ensemble de la machinerie qui dépendait auparavant d’une roue à aubes. Puis est venue la construction de la maison en 1902. Le moulin a peu changé depuis.

La Corporation du moulin Légaré est née en 1976 de la volonté du milieu de sauvegarder le plus ancien moulin à farine toujours en fonction au pays. Son objectif principal : assurer la protection et la mise en valeur du moulin Légaré, ainsi que la pérennité du métier de meunier. Plus de 35 ans après sa fondation, elle est toujours composée de membres dévoués à la conservation de ce site patrimonial exceptionnel et regroupe des centaines de bénévoles, indispensables à la réalisation des diverses activités culturelles et récréatives. Au fil des années, le rôle de la Corporation s’est élargi et dépasse l’unique responsabilité du moulin Légaré, puisqu’elle a intégrée à sa mission la mise en valeur de plusieurs bâtiments patrimoniaux du Vieux-Saint-Eustache.

Le moulin Légaré après la restauration de 2007

Depuis 2007, d’importants travaux de restauration sont réalisés au moulin afin de contrôler les mouvements structuraux des murs de maçonnerie. La bonne conservation des murs et de ses différents étages joue un rôle de premier plan dans la préservation du bâtiment puisqu’elle assure, entres autres, la conservation des mécanismes et permet au moulin de continuer à fonctionner et à maintenir sa production selon des techniques traditionnelles. Des travaux qui devenaient nécessaires après 250 ans de vie active.

 

Préserver et transmettre le savoir-faire

Le meunier du moulin Légaré, ajustant la moulange à sarrasin

Pour la Corporation du moulin Légaré, la sauvegarde et la transmission des savoir-faire sont primordiales : elle souhaitait donc assurer la survie de cet important patrimoine immatériel qu’est le métier de meunier. Or, il n’existe pas au Québec de programme de formation professionnelle pour apprendre ce métier traditionnel. La transmission du savoir-faire se fait par le contact quotidien de gestes qui sont répétés de génération en génération. L’apprentissage du métier de meunier demande de quatre à cinq ans! Au moulin Légaré, le meunier Daniel Saint-Pierre y pratique son métier depuis bientôt 25 ans. Un métier qu’il a appris de Philippe Légaré, avec qui il a travaillé pendant huit ans avant de prendre les rênes du moulin. Daniel Saint-Pierre a d’ailleurs entrepris de former un apprenti-meunier : il s’agit d’un ancien guide-interprète qui s’est progressivement pris au jeu et qui, depuis trois ans, apprend les rudiments de ce métier hors du commun afin d’assurer une continuité.

Puisque la transmission d’un métier traditionnel passe avant tout par les personnes vivantes, il fallait conserver des traces, pour ceux qui viendront après. À cette fin, la Corporation est allée au-delà des travaux de restauration des lieux, en documentant le métier de meunier ainsi que le fonctionnement du moulin. Ce travail s’est fait en collaboration avec la Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique de l’Université Laval. Des entrevues avec le meunier et son apprenti ont été réalisées, ainsi que des captations multimédias des différentes tâches exécutées au quotidien, autant d’outils de qualité pour reconstituer la mémoire du lieu et du savoir-faire qui lui donne vie.

 

Un patrimoine unique

Arts-en-Fête, juin 2008

En opération depuis près de 250 ans et encore mû par la seule force de l’eau, le moulin Légaré est en Amérique du Nord, le plus ancien moulin à farine n’ayant jamais cessé de fonctionner. La population de Saint-Eustache a depuis longtemps reconnu son importance, au départ comme lieu de service essentiel et, aujourd’hui, comme lieu de mémoire fondateur pour l’identité locale. L'appropriation du milieu par les résidents, mais aussi par les autres usagers, commerçants, propriétaires et touristes est primordiale. Pour les citoyens de Saint-Eustache, le moulin constitue un important lieu de rencontre.

Le métier de meunier se situe au cœur de relations privilégiées entretenues avec les clients et d’autres artisans venus échanger sur le métier. L’importante opération de consignation de la mémoire liée à ce métier permettra de conserver et surtout de partager des informations cruciales sur un patrimoine immatériel fondamental pour notre culture. Ce grand projet, souhaité depuis longtemps par la Corporation, viendra alimenter de futurs projets de mise en valeur. Ainsi, par les travaux de restauration, mais aussi par la documentation et la diffusion des pratiques, toutes les composantes qui constituent le patrimoine du moulin Légaré demeureront bien vivantes.

 

Léopoldine Marcotte
Chargée de projet en patrimoine, Corporation du moulin Légaré

 

Bibliographie

Bélisle, Jean, Journal de la Société pour l’étude de l’architecture au Canada, « Le moulin Légaré, Saint-Eustache (Québec) », pp.49-62, Volume 28, numéros 1, 2, 2003.

 Revue Histoire Québec, Moulins du Québec, janvier 97, vol.2, no.2 [en ligne] http://www.histoirequebec.qc.ca/publicat/v2n2_som.htm

 

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