Vieille prison de Trois-Rivières
par Harvey, Christian
Située dans le centre-ville de Trois-Rivières, la Vieille prison inaugurée en 1822 est une rescapée du grand incendie de 1908 qui laissa debout une poignée d’édifices historiques. Sa valeur historique et architecturale, la notoriété de son concepteur, l’ancienneté du bâtiment et la pérennité de sa fonction ont justifié son classement comme monument historique par le gouvernement du Québec en 1978. La Vieille prison témoigne à la fois d’une période d’innovation sur le plan de l’architecture pénitentiaire au Québec, survenue au début du XIXe siècle, et des vicissitudes de la vie carcérale vécues dans des conditions souvent difficiles par plusieurs générations de détenus entre 1822 et 1986. Aujourd’hui, le concept unique de la visite expérience En prison! permet aux visiteurs de ce bâtiment intégré avec succès au Musée québécois de culture populaire de prendre contact avec la mémoire d’anciens prisonniers qui témoignent de ce qu’ils y ont vécu.
Article available in English : Old Prison of Trois-Rivières
Politique et pénitenciers
En 1799, la Chambre d’assemblée du Bas-Canada adopte une première loi afin de pourvoir à la construction de prisons dans la province dans ses différents districts. Un comité se forme pour la concrétisation de ce projet mais suscite bientôt de vifs débats dans la classe politique sur la question du mode de financement de ces futures institutions. Finalement, en 1805, la Chambre d’assemblée adopte l’Acte qui pourvoit à l’érection d’une prison commune pour le District de Québec et de Montréal. Dès lors, sont officiellement ouvertes les prisons de Québec en 1809 (aujourd’hui Morrin Centre) et du Champ-de-Mars à Montréal en 1811 (disparue). Une loi similaire est adoptée en 1811 pour le district de Trois-Rivières, mais la mise en branle des travaux devra attendre cinq années.
François Baillairgé et l’architecture pénitentiaire au Québec
En 1815, François Baillairgé (1759-1830) est choisi pour réaliser les plans et devis de la prison de Trois-Rivières. Cet architecte de renom a reçu une formation de son père Jean Baillairgé en sculpture, en menuiserie et en architecture, avant de poursuivre des études à l’Académie royale de peinture et de sculpture de Paris. La notoriété de François Baillairgé découle particulièrement de ses plans du palais de justice de Québec (1799) et de la prison de Québec (1807). Il s’avérait donc un excellent candidat pour dessiner les plans d’une nouvelle prison à Trois-Rivières, à la lumière d’approches architecturales modernes.
Baillairgé s’inspire notamment des idées du théoricien et réformateur britannique John Howard, qui préconise le choix d’un site avantageux et l’établissement de conditions d’hygiène satisfaisantes assorties d’une bonne ventilation et d’un chauffage adéquat des pénitenciers. On voit en outre à loger les prisonniers selon leur âge, leur sexe et la nature des délits commis. L’architecte québécois puise aussi dans l’esthétisme développé par James Gibbs. Ainsi, l’institution carcérale trifluvienne s’inscrira dans la droite ligne de l’architecture palladienne anglaise, avec son équilibre formel, ses rapports harmonieux et son rythme monumental (NOTE 1).
Le nouvel édifice de 28 mètres de longueur par 11 mètres de largeur comporte trois sections. La partie centrale accueille la réception, l’administration, la chapelle, la cuisine et le réfectoire, tandis que les deux ailes regroupent les blocs cellulaires, à l’exception du second étage de l’aile ouest qui accueille le logis du gouverneur de la prison et de sa famille. Les cachots se trouvent naturellement au sous-sol (NOTE 2).
Les travaux de construction de la prison de Trois-Rivières s’échelonnent de 1816 à 1822, avec un arrêt en mars 1819, faute des fonds nécessaires pour parachever l’édifice. Malgré l’avis des commissaires selon lequel la prison peut déjà accueillir des détenus, on attend 1822 pour que les crédits soient débloqués et que la prison reçoive ses premiers pensionnaires.
Surveiller, punir et réhabiliter
La naissance de la conception moderne de la prison est aujourd’hui bien connue (NOTE 3). Aux XVIIe et XVIIIe siècles, en France et au Québec, cette institution sociale n’existe pas encore au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Lorsque des crimes sont commis, le châtiment se veut avant tout une démonstration à caractère public destinée à marquer les esprits : selon la gravité des offenses, l’individu sera condamné à une amende, à faire des excuses publiques, à recevoir un châtiment corporel comme le fouet, le carcan ou le pilori, ou encore il sera passible de la peine de mort (NOTE 4). Dans cette optique, la prison n’apparaît que comme un lieu d’attente provisoire en vue d’une sentence.
À la fin du XVIIIe siècle, des réformateurs, notamment britanniques, critiquent ces spectacles barbares et jettent les bases de la définition moderne de la prison : l’établissement devient un lieu de régulation sociale dans une société en pleine transformation capitaliste où prolifère la petite criminalité. L’on y sanctionne des désordres comme le vagabondage, l’ivresse, les atteintes à la morale, les désertions, le vol et les atteintes à l’ordre public (NOTE 5). L’emprisonnement devient alors un châtiment en lui-même, mais aussi une stratégie de réhabilitation des détenus et une mesure de protection de la société, qui n’exclut pas les sévices à caractère physique. C’est dans ce contexte que débute l’histoire de la prison de Trois-Rivières.
Pendaisons, cachots et peines
La Vieille prison a accueilli des détenus pendant 164 ans, de 1822 à 1986, ce qui en fait l’institution carcérale la plus longtemps en fonction dans tout le Canada. Sept pendaisons y ont été pratiquées (la dernière ayant eu lieu en 1934) pour des crimes graves comme des meurtres. Toutefois, au XIXe siècle, la plus grande part des peines purgées dans cette prison concerne des crimes mineurs se traduisant par une courte incarcération, moins de quinze jours dans 78% des cas (NOTE 6). Cette « spécialisation » trifluvienne en peines mineures devient progressivement officielle au siècle suivant : les criminels endurcis étaient envoyés ailleurs, notamment à Orsainville, dans la région de Québec. L’essentiel de la peine des détenus consiste alors à « faire son temps », une expérience répétitive et difficile, bien que relativement brève, vécue jour après jour dans une prison où aucun atelier n’avait été aménagé pour le travail des prisonniers.
Au XIXe siècle, des châtiments corporels comme la flagellation sont pratiqués afin de « casser » un prisonnier récalcitrant. Mais c’est surtout par les séjours « au trou », ou au cachot, que les autorités carcérales entendent maintenir leur autorité. Les cachots accueillent des prisonniers enchaînés, comme au Moyen Âge, pour les empêcher de creuser un tunnel par lequel s’enfuir. L’isolement sera utilisé jusqu’au début des années 1970. Un triste souvenir pour plusieurs détenus.
De prison à musée
Au fil des décennies, l’exceptionnelle longévité de la prison de Trois-Rivières finit par susciter un questionnement sur la vétusté des installations et sur les conditions de détention qu’y endurent les prisonniers. En reconnaissant de façon ironique, en 1905, que la prison de Trois-Rivières est le seul monument historique de ce genre au Québec (NOTE 7), on se plaint du même souffle des mauvaises odeurs des latrines, du mauvais chauffage en hiver, des punaises et des coquerelles. Quelques travaux sont réalisés au fil des ans, sans véritablement régler les problèmes. Il faudra attendre en 1986, après plusieurs promesses électorales, pour voir enfin la prison fermer ses portes.
La valeur historique et architecturale, la notoriété de son concepteur François Baillargé, l’ancienneté du bâtiment et la pérennité de sa fonction confèrent à la Vieille prison de Trois-Rivières un caractère unique (NOTE 8). En 1978, l’établissement obtient une première reconnaissance patrimoniale lorsque le ministère des Affaires culturelles du Québec la classe monument historique. Après sa désaffection en 1986, des visites guidées sont organisées afin de présenter le bâtiment au grand public. La mise en valeur de la Vieille prison s’intègre ensuite au processus visant à former un musée dans la ville.
D’abord piloté par l’Université du Québec à Trois-Rivières, ce projet de musée vise initialement à mettre en valeur l’imposante collection de plus 35 000 pièces ethnographiques constituée par Robert-Lionel Séguin et acquise par l’Université en 1983, ainsi que la collection d’archéologie comprenant 30 000 artefacts préhistoriques ou amérindiens. Après de nombreuses démarches politiques, il faut attendre octobre 1993 pour que débutent finalement les travaux. Un nouvel édifice consacré aux expositions est alors construit pour loger le Musée des arts et traditions populaires du Québec pendant que la Vieille prison fait l’objet d’une rénovation et d’une mise aux normes. Le deuxième étage du bâtiment est converti en bureaux administratifs. Ce musée ouvre finalement ses portes le 26 juin 1996.
La vieille prison de Québec construite sur les plaines d’Abraham en 1867 avait subi un sort similaire en 1990, alors qu’elle avait été annexée au Musée national des Beaux-Arts du Québec qui désirait accroître son espace d’exposition. Le musée trifluvien se démarque cependant en développant, à partir des années 2000, le concept original de « visite expérience » qui permet de communiquer et de mettre en valeur l’expérience vécue par les prisonniers entre ses murs.
Le Musée québécois de culture populaire et la nouvelle vie de la prison
Après d’importants revers financiers, le Musée des arts et traditions populaires change de vocation et devient le Musée québécois de culture populaire, logé dans les mêmes espaces. On se questionne alors sur la nature des travaux accomplis antérieurement sur la Vieille prison et qui ont, en quelque sorte, gommé l’esprit du lieu. Pour y remédier, on décide de procéder à une seconde restauration, réalisée cette fois à partir des photographies prises dans les années 1970 lors des démarches pour le classement à titre de bâtiment historique.
Pour redonner vie à la Vieille prison de Trois-Rivières, on crée le concept original de visite expérience En prison! Cette visite de 1h15, sous la supervision d’un guide (plusieurs ex-détenus font d’ailleurs partie du personnel), permet de visiter les cellules, les cachots et de connaître les conditions difficiles de détention. Le Musée de culture populaire offre même une sentence d’une nuit pour les groupes de 15 à 39 personnes, consistant littéralement à coucher sur place, en l’échange d’une « caution » de 60$, incluant le traditionnel déjeuner de gruau et de rôties. Finalement, au cours de l’été 2011, on offre à certains visiteurs l’occasion de devenir les jurés d’une reconstitution de procès criminel se déroulant dans les années 1920, dans le cadre de l’activité Verdict attendu.
En restituant à la Vieille prison de Trois-Rivières son aspect originel, dans le respect de son histoire si particulière, les promoteurs du Musée ont donc réussi d’une pierre deux coups : mettre en valeur un patrimoine bâti exceptionnel en ranimant tout un pan du patrimoine immatériel du lieu.
Christian Harvey
Centre
de recherche sur l’histoire et le patrimoine de Charlevoix
NOTES
1. Guy Godin. « La vieille prison de Trois-Rivières change de vie », Continuité, 69, 1996 : 12-13.
2. Benoît Gauthier. « La vieille prison de Trois-Rivières », Cap-aux-Diamants, 98 (2009) : 33.
3. En France, Michel Foucault. Surveiller et punir : naissance de la prison. Paris, Gallimard, 1975. 318 p. et, au Québec, Jean-Marie Fecteau. La liberté du pauvre : sur la régulation du crime et de la pauvreté au XIXe siècle québécois. Montréal, VLB, 2004. 455 p.
8. Voir : http://www.historicplaces.ca/fr/rep-reg/place-lieu.aspx?id=4076
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