Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA)

par Équipe de rédaction de l'Encyclopédie

Extrait d'une affiche de l'ACFA visant à promouvoir l'usage du français en Alberta

En 2011, la communauté francophone de l’Alberta représentait 2,2% de la population de cette province majoritairement anglophone. Depuis longtemps, la sauvegarde de la langue française dans l’Ouest canadien est un combat. C’est pourquoi les Franco-Albertains  se sont dotés dès 1926 d’une association permettant de défendre la francophonie et d’assurer à la population d’expression française une éducation en français : l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA). Cette association engagée tant dans les communautés locales qu’au niveau de la politique provinciale et fédérale a joué un rôle prépondérant dans le maintien et la transmission du patrimoine culturel des francophones de la province.

 


Article available in English : Association Canadienne Française de l’Alberta (ACFA)

La francophonie albertaine de nos jours

Procession de la Fête-Dieu à Saint-Albert (Alberta) vers 1880

C’est au temps des voyageurs de la traite des fourrures que l’immense territoire situé à l’ouest des Grands Lacs a vu apparaître les premiers peuplements francophones. D’abord modestes, ces établissements ont progressivement évolué en conservant, dans bien des cas, une toponymie témoignant de leur origine française. Le français a d’ailleurs été, bien avant l’anglais, la première langue européenne parlée dans les territoires qui deviendront éventuellement la province de l’Alberta. C’est par exemple dans cette langue que s’expriment les habitants du fort Edmonton, construit en 1795 par la Compagnie de la Baie d’Hudson. Même si l’arrivée massive de colons fait progressivement perdre au français son statut de langue première, les efforts déployés par l’Église catholique permettront d’implanter puis de maintenir une communauté francophone tenace.

De nos jours, après l'Ontario et le Nouveau-Brunswick, l'Alberta est la province qui compte la plus grande population francophone en situation minoritaire du Canada. Si l’immigration des dernières décennies a surtout profité à la communauté anglophone, l’Alberta a quand même connu d’importants mouvements migratoires qui ont amélioré la situation du français. Par exemple, attirés par une économie dynamique et prospère, plusieurs milliers de francophones de tout le Canada ont convergé vers l’Alberta depuis les années 1970. Il en résulte que les francophones de cette province ont des liens partout au pays. En somme, malgré son statut très minoritaire, la présence française est solidement ancrée en Alberta depuis plus de 200 ans. 

 

Les organismes francophones

Les officiers de la Société Saint-Jean-Baptiste d'Edmonton

Étant donné ce statut minoritaire, la communauté francophone de l’Alberta a dû apprendre à se gouverner elle-même : elle s’est donc dotée d’organismes à caractère social et politique afin de mieux répondre aux besoins de ses membres. D’abord presque calqués sur les associations québécoises (par exemple, la Société Saint-Jean-Baptiste, établie au Québec depuis 1843, est exportée en Alberta en 1894), les organismes franco-albertains prennent rapidement une couleur qui leur est propre.

De nombreuses associations seront créées au fil des ans : les Artisans (1911), la Société du parler français (1912), l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française (1913), le Cercle Jeanne-d’Arc (1913), les Bonnes amies (1925), les Jeunes Canadiens (1925) et le Cercle Dollard-des-Ormeaux (1925). Mais de tous ces organismes, le mieux connu est sans doute l’Association canadienne-française de l’Alberta, l’ACFA. Avec le temps, celle-ci est devenue le porte parole officiel de la communauté francophone de cette province. 

 

Les origines de l’ACFA

J.H. Picard

Dans le premier quart du XXe siècle, l’anglais est la seule langue de fonctionnement du gouvernement de l’Alberta, ainsi que la langue officielle dans l'enseignement, exception faite du fameux primary course qui permet l’usage du français au cours d’une année de l’élémentaire.

Au printemps 1925, la communauté franco-albertaine et le ministère de l'Instruction publique collaborent afin d’établir un programme d’étude officiel et un ensemble de règlements ministériels qui régissent l’enseignement du français en Alberta. Selon les nouveaux règlements, il sera maintenant possible de consacrer une heure par jour à l’enseignement du français dès la troisième année du primaine. Mais pour assurer la mise en œuvre de ces nouveaux règlements partout en province et pour répondre aux besoins grandissants de l’ensemble des francophones de l’Alberta, la communauté franco-albertaine ressent vivement le besoin de se doter d’un organisme rassemblant ses forces vives à l’échelle de la province.

Le coup d’envoi est donné par le Cercle Jeanne-d'Arc, qui organise un grand banquet le 13 décembre 1925. Plus de 400 personnes venues de tous les coins de la province s'y présentent : cette première rencontre marque la fondation de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) dont l’existence devient officielle lors de son premier congrès tenu en juillet 1926.

 

Fonctionnement de l’ACFA

Logo de l'ACFA

Entre le 13 décembre 1925 et le 15 juillet 1926, l'ACFA est dirigée par un comité provisoire sous la présidence du Dr J.E. Amyot qui en devient le premier président général. Par la suite, des centaines de bénévoles assurent la direction de l’Association de façon collégiale; les membres sont regroupés en cercles paroissiaux composés des membres d’une paroisse ou d’une mission catholique. Ce fonctionnement persistera jusqu’en 1960, époque où ces cercles paroissiaux seront remplacés par cinq cercles régionaux, qui deviendront les Régionales de l’ACFA.

Pendant longtemps, le financement de l’ACFA provient de la contribution des cercles paroissiaux, de dons et des fonds perçus lors de la Journée de l’ACFA, organisée chaque année. À partir de 1959, on met sur pied le Service de Sécurité familiale en collaboration avec l’Assurance-vie Desjardins; ce  projet qui permettra à l’ACFA de mieux se financer. Par la suite, des sommes en provenance de la Fondation de l’ACFA viendront s’ajouter à l’appui financier du Secrétariat d’État fédéral qui soutient l’association depuis 1969.  

 

Étudier en français en Alberta

L’éducation française compte parmi les dossiers les plus importants qu’a défendu l’ACFA. En décembre 1926, on dénombre 135 écoles où le français peut être enseigné une heure par jour jusqu’en 8e année. L’association a la lourde charge de recruter les enseignants et de faire reconnaître leurs diplômes de formation lorsque ceux-ci viennent d’ailleurs. L’ACFA et l’Association des éducateurs bilingues de l’Alberta (AEBA) organisent aussi des cours de formation des maîtres à compter de 1934. L’ACFA créera aussi le poste de visiteur d’école, dont le mandat est d’encourager l’enseignement du français partout en province.

Dès 1929, l’ACFA et l’AEBA se partagent l’organisation des populaires concours de français auxquels 5 000 enfants de la 3e à la 12e année participent en 1959. Ces concours subiront ensuite une profonde transformation, jusqu’à leur disparition complète.

Collège St-Jean.

L’ACFA participe aussi au développement du Collège Saint-Jean, une institution d’enseignement supérieur francophone d’Edmonton, et tout particulièrement à la création de l’École de pédagogie en 1961. Elle va par la suite appuyer, initier et mener à bien de nombreuses démarches auprès de l’État, des parents, des autorités scolaires et des tribunaux dans le domaine de l’éducation. Elle réalisera notamment plusieurs grandes études qui serviront à consolider les attentes de la communauté en matière d’éducation et à faciliter les négociations sur la question cruciale de la gestion scolaire par les francophones.

 Au-delà de son rôle prépondérant en éducation, l’ACFA s’intéresse aussi aux regroupements de jeunes. En 1933, elle organise le groupe des Avant-Garde de l’ACFA, puis elle appuiera tous les mouvements de jeunes francophones qui se développent.

 

Prise de parole de la communauté franco-albertaine

Afin de favoriser le développement de la communauté franco-albertaine très présente dans les secteurs agricoles dans la première moitié du XXe siècle, l’ACFA se préoccupe dès sa fondation de la nomination d’agronomes canadien-français, d’agriculture et d’immigration. Puis à ces premières préoccupations s’ajoute le besoin d’établir des services culturels de base pour la communauté. L’ACFA jouera un rôle des plus importants lors de la fondation du journal La Survivance en 1928, canal essentiel de la vie des Franco-albertains. Ce journal changera d’ailleurs de nom en 1967 pour s’appeler justement Franco-albertain. Huit and plus tard, l’ACFA devient formellement propriétaire de ce journal ainsi que de l’Imprimerie La Survivance.

Consciente du besoin d’assurer l’accès à des livres et autres produits culturels en français, l’ACFA favorise l’installation de bibliothèques paroissiales pendant plus de 20 ans. En décembre 1946, l’association lance le Service de librairie française, organe plutôt rudimentaire qui permet aux intéressés de commander des livres d’après une liste publiée dans le journal La Survivance. Le service disparaît complètement en 1960 lorsque la Librairie Fides établit une succursale à Edmonton. Mais le nouveau commerce n’a pas de succès et la nouvelle librairie ferme ses portes trois ans plus tard. Par la suite, l’ACFA participera à la création de la Librairie Schola et plus tard à celle du Centre culturel mobile. En 1977, l’ACFA choisit le nom « Carrefour » pour nommer les comptoirs qui font alors la vente de produits culturels en français dans plusieurs régions albertaines. Depuis, la librairie Le Carrefour compte parmi les plus grands succès de l’ACFA.

Drapeau franco-albertain

Dès 1928, la radio française s’impose comme un autre dossier très important de l’ACFA, alors que débutent les luttes pour l’obtention de services radiophoniques en français dans la province de l’Alberta. Ces luttes sont couronnées de succès en 1949, alors que la communauté célèbre l’ouverture de CHFA, un poste radiophonique privé. Ses propriétaires sont les actionnaires et les directeurs de Radio-Edmonton Ltée, élus par le conseil général de l’ACFA, c’est-à-dire par les membres de la communauté franco-albertaine qui ont fourni plus de 140 000 $ pour assurer l’établissement de cette station. En avril 1974, après 25 ans d’existence autonome, CHFA est vendu à la Société Radio-Canada qui assurera désormais la diffusion d’émissions en français en Alberta.

À compter de 1957, l’ACFA s’investit également du côté de la télévision. Les efforts de l’Association connaissent un dénouement heureux en mars 1970, lorsque la télévision française de CBXFT entre en ondes à la suite d’une entente intervenue entre le Metropolitan Edmonton Educational Television Association (MEETA), le Secrétariat d’État fédéral et le ministère albertain de l’Éducation.

Enfin, pendant la période allant de 1982 à l’an 2000, l’ACFA participe à la création de plusieurs nouvelles associations francophones telles que la Fédération des parents francophones de l’Alberta et la Fédération des aînés de l’Alberta. Au terme de longues consultations, l’ACFA développe aussi une politique sur le multiculturalisme menant à la mise sur pied, en 1989, de l’Association multiculturelle francophone de l’Alberta, qui tient davantage compte de l’immigration francophone non traditionnelle en provenance du Maghreb et de l’Afrique noire, par exemple. 

 

Action politique de l’ACFA

L’action politique a toujours occupé une partie des énergies de l’ACFA. Mais celle-ci prend une nouvelle ampleur à compter des années 1960, quand elle participe à la création de la Fédération canadienne-française de l’Ouest, en 1960, puis aux travaux de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. De 1966 à 1969, l’ACFA participe également aux États généraux du Canada français qui se déroulent à Montréal, au Québec, entre 1966 et 1969. Puis, en 1975, elle jouera un rôle crucial dans l’organisation de la Fédération des francophones hors Québec (FFHQ). 

Jeunes en action lors du Parlement jeunesse Alberta 2011

À compter de 1982, dans la foulée du rapatriement de la Constitution canadienne qui a eu lieu cette année-là, l’importance des enjeux constitutionnels exigera une réflexion et des recherches approfondies ainsi qu’une action politique soutenue. Dans les débats qui suivent les modifications qui ont été apportées à ce texte politique fondamental  du pays, autour des négociations sur l’Accord du Lac Meech et du référendum pancanadien de Charlottetown, l’ACFA va souvent jouer un rôle important, quoique peu connu. La Charte canadienne des droits et libertés qui a été enchâssée dans la Constitution en 1982 donne également un nouvel essor aux questions liées à l’éducation française dans les provinces autres que le Québec. En Alberta, la résolution des affaires Mercure et Piquette et l’adoption, en juillet 1988, de la Loi linguistique qui fait de l’Alberta une province unilingue anglaise, marquent à la fois la fin de plusieurs années de travail acharné pour protéger les droits linguistiques des Franco-albertains et le début des démarches entreprises par l’ACFA auprès du gouvernement Fédéral pour obtenir ce qui deviendra la première entente Canada-Communauté.

L’amendement apporté à la Loi sur les langues officielles en 1988, qui inscrit le principe de promotion des langues officielles du Canada, le français et l’anglais, dans les provinces où l’une de ces langues est minoritaire, ouvre quant à elle toute une époque de travail interministériel entre les provinces et le fédéral. La création du Secrétariat francophone du gouvernement de l’Alberta en 1999 est le couronnement de l’action politique de l’ACFA menée pendant cette période.

 

Une manifestation patrimoniale indispensable

Extrait d'une affiche de l'ACFA visant à promouvoir l'usage du français en Alberta

En raison de son statut minoritaire, la communauté francophone de l’Alberta doit se gérer de façon autonome : ceci signifie que l’ACFA, à titre d’association porte-parole, assume l’importante tâche d’établir les buts et objectifs de la communauté franco-albertaine et de chercher à acquérir les moyens et les ressources nécessaires à leur réalisation. Par son action au triple niveau culturel, social et politique, cette association a participé à de nombreuses réalisations dont les répercussions se font encore sentir aujourd’hui et elle continue de jouer un rôle actif dans la défense du français en Alberta. Pour les Franco-Albertains, l’ACFA ne représente pas seulement un moyen d’assurer la transmission du patrimoine des francophones de la province, elle en constitue une vibrante manifestation. 


L'équipe de rédaction de l’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française

Nous tenons à souligner le précieux apport de France Levasseur-Ouimet, du Campus Saint Jean de l’Université d'Alberta, dont l’expertise a été mise à contribution pour documenter cet article.

 

 

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