Liaison, revue artistique et culturelle francophone
par Boulet, Chloé et Noël, Martine
Publiée depuis 1978, Liaison se veut la revue des arts et de la culture francophone en Ontario, en Acadie et dans l’Ouest canadien. Établie à Ottawa depuis sa création, elle est aujourd’hui publiée quatre fois par année par Les Éditions L’Interligne. Unique en son genre, elle traite la vie artistique francophone de ces régions et en souligne le dynamisme et l’originalité. Gardant au cœur de ses préoccupations le maintien d’une communauté artistique et culturelle bien vivante, la revue fait place aux artistes de tout domaine et assure aux lecteurs francophones en situation minoritaire au Canada un portrait artistique de leur communauté.
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Un rayonnement important dans la francophonie canadienne
En 2006, Liaison a reçu le prix de la Fédération Culturelle Canadienne-Française (FCCF) « Hommage des arts et des industries culturelles » pour sa contribution au développement et à l’épanouissement des arts et des industries culturelles de sa communauté. Plus récemment, en 2010, la revue a été finaliste au Prix Roger-Bernard qui est remis par le Regroupement des Organismes du Patrimoine Franco-Ontarien (ROPFO) à une organisation qui contribue à la préservation et à la mise en valeur du patrimoine des communautés franco-ontariennes.
Plus de la moitié des abonnés à la revue Liaison réside en Ontario, ce qui n’est guère surprenant si on considère que la revue visait initialement les franco-ontariens. Fournissant près de 30% des abonnés, le Québec est la deuxième province « consommatrice » de la revue, ce qui souligne assurément la qualité des textes et des sujets traités qui prennent également place sur la scène culturelle francophone en milieu majoritaire. La situation géographique de la capitale nationale y est pour quelque chose, car la proximité de Gatineau et d’Ottawa, berceau de la revue, contribue en grande partie à ce pourcentage important de lecteurs québécois. D’autre part, on ne peut ignorer le va-et-vient des artistes entre l’Ontario et le Québec, qui a sans doute facilité l’implantation de Liaison au Québec.
Alors que la revue a ouvert ses pages aux autres provinces du Canada depuis maintenant 5 ans, l’ensemble de celles-ci constitue seulement 15% des abonnés tandis qu’à peine 2% des numéros trouvent preneur à l’étranger. L’actuelle directrice convient d’ailleurs qu’il reste encore « beaucoup de travail à faire pour développer les réseaux à l’intérieur même du Canada » (NOTE 1).
Les débuts de Liaison
La revue naît en pleine effervescence culturelle franco-ontarienne à la fin des années 1970. Une nouvelle prise de conscience se manifeste alors au sein de la communauté francophone de l’Ontario et l’émergence d’une pensée collective a besoin d’un moyen d’expression approprié : la revue en est le canal idéal. Le premier rédacteur en chef, Jean-Pierre Bégin, voit la nécessité d’informer sur les activités artistiques de l’Ontario, plus précisément sur le milieu théâtral. On souhaite aussi créer un espace où développer la pensée critique sur la pratique des arts et refléter l’évolution de ceux-ci dans la province.
Dès octobre 1978, les objectifs de la revue sont fixés. On écrit que «Liaison se veut l’outil qui permettra à l’Ontario francophone de se donner, par les mots, l’image de son présent, et de reconstruire son espace historique qu’il soit écrit libre, dramaturgie, regard critique, évolution théâtrale, etc. C’est dire que Liaison veut assurer par l’écrit un échange entre textes d’ici, textes d’ailleurs, textes miroirs de notre réalité, de notre vécu. Liaison veut susciter la présence de chacun à lui-même en l’invitant en premier lieu à se regarder et à se dire, puis en lui offrant la possibilité, par ses pages, de se communiquer à d’autres. Le but ultime est de catalyser l’échange entre tous. » (NOTE 2)
Le premier numéro (0,0) paraît en mai 1978, sous la forme d’un bulletin mensuel d’information pour l’organisme Théâtre-Action (NOTE 3). D’ailleurs les trois premières années d’existence de Liaison sont subventionnées presqu’entièrement par Théâtre-Action. La revue évolue donc d’abord sous la tutelle de cet organisme, son contenu étant principalement axé sur l’information actuelle en théâtre, la critique théâtrale, l’historique de cet art scénique et un espace d’encouragement à la création, en plus de rapporter les récentes activités de Théâtre-Action. Enfin, certains extraits de poèmes ou de nouvelles littéraires paraissent dans Liaison avant leur publication par des maisons d’édition (NOTE 4).
Diversification du contenu et indépendance
Ayant toujours voulu rejoindre tous les artistes de tous les domaines, l’implication de Liaison déborde petit à petit le cadre du théâtre. Dans un communiqué de presse datant du 17 avril 1980, on écrit que « la réalité même de l’Ontario exigeait cette ouverture. » Étant le seul outil de diffusion artistique dans la province, la revue était « destiné[e] à et susceptible de rendre compte des autres formes d’expression artistique et culturelle. Après tout, les arts ne vivent pas et ne croissent pas isolés les uns des autres » (NOTE 5). Des articles témoignant d’« autres » arts deviennent par conséquent de plus en plus présents. En mai 1979, André Bourassa, alors professeur à l’Université d’Ottawa, signe par exemple un article critique sur la production littéraire de la maison d’édition franco-ontarienne Prise de Parole. La première critique cinématographique paraît dans le 8e numéro et propose une critique pluridisciplinaire portant sur le film de Jacques Ménard intitulé « CANO, note sur une expérience collective », qui se penche sur l’évolution du groupe musical CANO. En décembre 1980 paraît un numéro spécial sur la littérature et l’engagement puis, en août 1981, un article porte sur l’artiste-peintre Richard Lachapelle.
C’est en 1981, avec la parution de son 15e numéro soulignant son troisième anniversaire que Liaison devient autonome. Dans le but de ne pas se confiner au théâtre, on crée les Éditions l’Interligne pour assurer la publication de la revue. Les rédacteurs maintenant indépendants de Théâtre-Action se permettent d’accorder plus d’attention aux autres disciplines. Cette année-là, les objectifs touchent diverses formes d’expression artistique et culturelle : cinéma, arts visuels et audio-visuels, théâtre, littérature, musique, animation… C’est le mandat pluridisciplinaire que se fixe denise truax (NOTE 6), directrice de 1979 à 1982 : faire de Liaison un instrument de communication et de développement au service de tous les artistes et de la communauté. En 1981, Liaison déclare avoir également comme objectif l’amélioration de la qualité de ses textes avec une rédaction davantage journalistique. On aspire aussi à une provincialisation, sollicitant les auteurs et chercheurs de tous les coins de l’Ontario pour faire part des activités régionales.
Nouvelle direction et nouvelles directions
D’un simple bulletin d’information et de promotion théâtrale, Liaison a donc beaucoup évolué au fil du temps. Les directeurs et directrices qui se sont succédé ont constamment remis en question les objectifs de la revue pour l’améliorer, avec un constant souci de transparence vis-à-vis de son lectorat, considéré comme un moteur important pour le dynamisme de la vie culturelle.
Le successeur de denise truax, Fernan Carrière, qui prend la relève en 1982, est convaincu que l’expression artistique et culturelle est intimement liée à la réalité politique (NOTE 7). En conséquence, Liaison devient un outil d’affirmation socioculturelle et ses objectifs dépassent la simple promotion artistique. Dans un souci d’objectivité, Carrière s’attache également à développer l’esprit critique de la revue afin d’éviter de tomber dans la complaisance artistique. Il aspire à la création d’un journalisme culturel de qualité pour informer au mieux la communauté.
La revue subit un autre changement majeur en 1983, alors que sa fréquence passe de 6 à 4 numéros par an, afin de se concentrer sur la qualité de son contenu. À cette époque, Liaison porte fièrement le sceau du seul « organe d’information » sur la culture franco-ontarienne. On ressent toujours la volonté d’être porte-flambeau, la revue revendiquant même son « rôle capital et complémentaire à l’existence et au bien-être de la culture franco-ontarienne », essentiel au développement du sentiment d’appartenance de cette communauté.
La fin des années 1980 marque un tournant dans la vie artistique de l’Ontario français, puisque l’on assiste peu à peu à la professionnalisation des arts dans la province. C’est dans ce contexte que Paul-François Sylvestre (NOTE 8) arrive à la barre de la revue en 1987. Les institutions artistiques fleurissent (compagnies de théâtre, maisons d’édition, galeries d’arts, centres culturels, etc.) ce qui fournit à Liaison une matière suffisante pour que la revue se consacre entièrement à la vie artistique de l’Ontario français et offre aux artistes professionnels un espace d’échange. Sylvestre décide aussi de délaisser le caractère revendicateur de la revue pour en faire un médium de promotion purement artistique, au service des artistes : Liaison devient un outil de communication et de diffusion de l’art professionnel (NOTE 9). Dans la lignée de ses prédécesseurs, pendant les dix années de son mandat, il soutiendra les artistes et la création et s’efforcera d’ouvrir le contenu de la revue à un maximum de domaines artistiques : littérature, musique, arts visuels, cinéma etc.
L’ouverture pancanadienne
Liaison n’a pas échappé pas aux difficultés administratives et financières qui assaillent tout organisme culturel. Tout au long de son histoire, ses responsables ont dû faire face aux aléas des politiques gouvernementales afin de défendre la valeur des arts, souvent relégués au second rang et victimes de coupures budgétaires.
Arrivé en 1997, Stefan Psenak (NOTE 10) prend en compte ces impératifs et procède à un changement d’image, rendant la revue visuellement plus attrayante. Pour lui, le succès de Liaison passe inévitablement par le développement du marché, ce qui jusque-là n’avait pas été une priorité. On commence à entrevoir la possibilité d’élargir les horizons de la revue à l’extérieur de l’Ontario, un virage que Psenak amorcera lui-même en 2002 avec la parution d’un numéro hors série reconnaissant le travail d’artistes francophones de toutes les provinces.
L’expansion du terrain d’action de Liaison s’officialise en 2005 sous la direction d’Arash Mohtashami-Maali, alors à la tête de la revue depuis deux ans (NOTE 11). Le numéro spécial 129, dédié à la littérature de l’Ontario, de l’Acadie et de l’Ouest, est le premier opus pancanadien de la revue. Si l’intention initiale de faire paraître plusieurs numéros pancanadiens par an est compromise faute de budget, l’idée ne sera pas complètement abandonnée : suite au succès de ce numéro spécial, Liaison inclut depuis 2006 des textes sur la vie artistique des autres régions francophones dans chacun de ses numéros. Mohtashami-Maali souhaite ainsi favoriser l’interaction entre les artistes de ces différentes régions et susciter la réflexion autour des créations artistiques du Canada français tout entier.
Un moteur d’émulation artistique
Au fil des ans, Liaison est devenue une formidable plateforme d’expression pour la vie artistique et culturelle de l’Ontario français et, depuis quelques années, de l’Acadie et de l’Ouest Canadien. Elle offre à ses artistes et à ses lecteurs une critique constructive de la production artistique. « Nous ne faisons pas la promotion des artistes, mais nous parlons de leurs créations, de leur travail de créateurs et nous défendons leurs droits», écrivait Mohtashami-Maali dans un éditorial de 2005 (NOTE 12). Liaison traite les créations comme sujets de débat et n’hésite pas à soulever les points faibles des productions aussi bien que ceux des institutions culturelles existantes.
La rédactrice en chef actuelle, Suzanne Richard (NOTE 13), poursuit dans cette visée d’excellence, souhaitant conférer à la revue un rôle plus proactif en annonçant les évènements à venir, tout en gardant ce regard critique qui fait de Liaison un référant fiable aux yeux de ses lecteurs.
Liaison a été et continue d’être à la recherche d’une meilleure façon de promouvoir la vitalité artistique et culturelle du Canada francophone. Cette constante évolution de la revue est le reflet du dynamisme de la communauté culturelle qui l’a engendrée.
Chloé Boulet
Stagiaire au Centre de Recherche en Civilisation
Canadienne-Française (CRCCF) de l’Université d’Ottawa
Martine Noël
Assistante de recherche à la Chaire de recherche sur les
cultures et littératures francophones du Canada.
CET ARTICLE A ÉTÉ PUBLIÉ GRÂCE À LA COLLABORATION DU CRCCF
NOTES
1. Entrevue avec Suzanne Richard [en ligne], http://www.youtube.com/watch?v=KXvxYfxGtps.
2. Centre de recherche en civilisation canadienne-française, Fonds des Éditions L’Interligne, C86/3/13, objectifs de Liaison, 1978.
3. Théâtre-Action œuvre depuis 1974 à l’évolution et à la promotion de la pratique théâtrale en Ontario français. Pour plus d’information sur cet organisme, voir son site officiel [en ligne], http://www.theatreaction.on.ca/fr/.
4. À titre d’exemple, voir Michel Dallaire, « Avant-première : Michel Dallaire, Dans ma grande maison folle », Liaison [en ligne], no 79, 1994, p. 33, http://www.erudit.org/culture/liaison1076624/liaison1165818/42310ac.pdf.
5. Centre de recherche en civilisation canadienne-française, Fonds des Éditions L’Interligne, C86/7/15, mandat fixé par denise truax, 1980.
6. denise truax, qui écrit son nom sans majuscules, mène Liaison vers son autonomie en en assurant la direction de 1979 à 1982. Elle laisse sa place à Fernan Carrière pour se consacrer à l’édition. denise truax est aujourd’hui la directrice générale des Éditions Prise de parole de Sudbury. Elle enseigne également à temps partiel le français et la littérature francophone à l’Université Laurentienne.
7. Dans son blogue personnel, Fernan Carrière se décrit comme un observateur contemplatif qui dévoile un peu de sa vie en même temps qu’il apprend de celle des autres. Fernan Carrière a tour à tour été journaliste, recherchiste et animateur avant d’assumer la direction de la revue Liaison, de 1983 à 1987.
8. Paul-François Sylvestre est un auteur qui touche à tous les genres. Il a été rédacteur en chef de la revue des arts Liaison pendant 10 ans et a ensuite assumé la responsabilité du secteur franco-ontarien au Conseil des arts de l'Ontario jusqu'à la fin de 2002. Il se consacre depuis à l’écriture et écrit notamment pour des hebdomadaires francophones de la région de Toronto, dont L’Express de Toronto.
9. Ce changement coïncide avec l’émergence d’une volonté de valoriser l’art pour l’art par opposition à l’art revendicateur. À ce sujet, nous vous proposons la lecture de l’article de Lucie Hotte et Johanne Melançon, « De French Town au Testament du couturier : la critique face à elle-même », Recherches théâtrales au Canada / Theatre Research in Canada, vol. 28, no 1, 2007, p. 32-53.
10. Stefan Psenak est poète, dramaturge et romancier d’origine québécoise. Après des études en lettres françaises à l’Université d’Ottawa, il œuvre dans différents domaines de la profession littéraire (agent de communications, journaliste, éditeur, rédacteur en chef de Liaison de 1997 à 2003, traducteur). En 2005, il fonde Remue-méninges, une entreprise de services linguistiques et de communication. Depuis 2009, il est conseiller municipal du district d’Aylmer à Gatineau.
11. Arash Mohtashami-Maali a travaillé comme codirecteur de la revue Virages avant d’occuper la direction des Éditions L’Interligne et de la revue Liaison de 2003 à 2009. En 2004-2005, il est membre du Bureau de direction de la Fédération culturelle canadienne-française. En 2009, il est nommé au poste de chef du Service des lettres et de l’édition au Conseil des Arts du Canada.
12. Arash Mohtashami-Maali, « Éditorial », Liaison, no 130, 2005.
13. Suzanne Richard devient officiellement la directrice générale des Éditions L’Interligne et de la revue Liaison après avoir occupé le poste à titre intérimaire depuis le départ de son prédécesseur en 2009. Après des études en arts visuels à l’Université du Québec en Outaouais, elle travaille dans le domaine de la communication. Elle publie également des articles critiques et analytiques, notamment dans la revue Liaison. Elle intègre l’équipe des Éditions L’Interligne en 2003, au Service des communications, et fait partie du Comité de rédaction de la revue Liaison de 2003 à 2007.
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- Notre Place Interprète : Paul Demers. Auteur/Compositeur : Paul Demers. Album : Paul Demers, 1990.
- « Cette génération qui (nous) pousse » Marc Haentjens, Liaison n° 144, 2009, p. 26-27.
- « Derrière la vitre : un aperçu sur les arts visuels franco-ontariens » Véronique Tomaszewski Ramses, Liaison n° 112, 2001, p. 16-19.
- « Diversité et démesure : les mots laissent advenir l’impossible » Paul-François Sylvestre, Liaison n° 78, 1994, p. 6-7.
- « Liaison : les voies de la parole » Louis Bélanger, Liaison n° 100, 1999, p. 14-16.
- « Qu’est devenu le théâtre franco-ontarien et que deviendra-t-il? » Danièle Vallée, Liaison n° 112, 2001, p. 11-15.
- Pour mettre au monde un théâtre franco-ontarien: Les 35 premières années de Théâtre Action, par Joël Beddows et Amelie Mercier, Théâtre Action et Chaire de recherche sur la francophonie canadienne, 2007