Pin blanc d'Amérique: exploitation des peuplements

par Quenneville, Raymond

Pin blanc © Jacques Myette, Arbonet, 1997

Au cours des derniers siècles, les forêts de l’est de l’Amérique du Nord ont subi des changements draconiens. L’ouverture des terres par les Européens venus s’y établir et les divers épisodes de coupes forestières qui ont suivi ont provoqué une véritable révolution dans la trajectoire écologique des peuplements. Les forêts de pin blanc n’ont pas été épargnées. Elles ont fait l’objet d’une quête acharnée qui a duré plus de 250 ans. L’exploitation de cette précieuse ressource a été si intense que la majorité des peuplements de l’est de l’Amérique du Nord sont aujourd’hui disparus. La coupe a connu son apogée au XIXe siècle, d’abord pour combler les besoins de la marine britannique, ensuite pour soutenir le développement des villes et des villages du Canada et des États-Unis.


Article available in English : Harvesting the Stands of Eastern White Pine

Les grandes forêts de pin blanc

À cette époque, les pins de quatre à cinq pieds de diamètre à la souche étaient nombreux. © Ministère des Richesses naturelles de l’Ontario

Les premiers explorateurs à toucher les côtes du nouveau continent faisaient face à une nature sauvage et à des forêts régies, depuis des millénaires, par les lois des processus naturels et par l’économie de subsistance pratiquée par les nations amérindiennes. Ces paysages sont décrits par plusieurs auteurs, chacun faisant l’éloge de la richesse et de la qualité des boisés. Les récits des explorateurs font état de l’abondance et de l’omniprésence du pin blanc (Pinus strobus L.), cet arbre aux dimensions gigantesques.

Les citations comme celle-ci ne sont pas rares dans les récits anciens :

« Le pays autant que l’œil pouvait s’étendre dans le lointain, offrait une succession régulière de montagnes, dont la hauteur augmentait graduellement [...] les hauteurs et les vallées sont épaissement boisées, surtout de pin blanc, de bouleau, d’épinette et de baume, et de quelques petits cèdres. » (Ingall, 1830)

Les pins blancs qui se trouvaient sur le continent étaient de forte taille :

« À l’époque que je vous décris, on ne coupait que du très gros bois: les pins de quatre à cinq pieds de diamètre à la souche étaient très nombreux. » (Boucher, 1952)

Une valeur patrimoniale

Ces arbres imposants étaient intimement lié à la vie des peuples de l’Amérique du Nord depuis des millénaires. On dit des Iroquoiens du Saint-Laurent qu’ils vivaient sur la terre du pin blanc. Le pin blanc était au centre de leur cosmologie et ils le désignaient comme « l’arbre de la paix ». Plus tard, il a constitué une manne pour les premiers arrivants européens, puisque le pin est une essence à tout faire. Le pin blanc a été longtemps le résineux le plus prisée de l’est du Canada. Il a même été considéré à un certain moment comme le plus important bois d’œuvre au monde. D’abord, il est l’arbre le plus grand de nos forêts et ses branches hautes libèrent un tronc exempt de nœuds d’une longueur considérable. Son bois, facile à travailler et à polir, offre tout de même une bonne résistance. Sa fibre de qualité en fait un matériau stable peu sensible au fendillement et au gauchissement. Il a de plus les qualités de bien flotter et de résister à l’humidité. Les premiers arrivants ont rapidement découvert les vertus de cette essence et l’ont utilisée abondamment pour la construction des habitations, des bâtiments de ferme, des meubles, des portes, des fenêtres et des articles de décoration. Les tables, coffres, armoires et autres objets de la vie de tous les jours des premiers colons de l’Amérique française étaient très souvent fabriqués en pin blanc. Il constitue de ce fait un patrimoine culturel unique.

La ressource était abondante et semblait inépuisable. Que s’est-il donc passé pour que l’on assiste, à l’intérieur de quelques centaines d’années, à la disparition de la vaste majorité des grands peuplements de pin blanc de la côte Atlantique, de la vallée du Saint-Laurent et des Grands Lacs?

Un destin scellé par les guerres

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le bois est un produit vital pour l’économie de la Grande-Bretagne. L’imposante flotte de navires britannique, la Royal Navy, a un besoin sans cesse grandissant de pièces de bois pour construire et réparer ses navires. Avec la Première Guerre anglo-néerlandaise (1652-1654), l’Empire britannique a commencé à utiliser certaines ressources forestières des colonies de la Nouvelle-Angleterre. Prenant conscience de la richesse des produits forestiers, la couronne se réserve le droit, en 1721, d’exploiter les forêts de pin blanc des nouvelles colonies d’Amérique. Un peu plus tard, les autorités britanniques mettent de côté d’autres réserves forestières où le pin blanc abonde dont celles de la grande région comprise entre le lac Champlain et le fleuve Saint-Laurent (Gillis, 1975).

Les arbres sont abattus et équarris sur place.

Bien que l’exploitation du pin en Amérique soit en progression à la fin du XVIIIe siècle, la grande majorité du bois servant à l’industrie navale provient toujours des pays de la mer Baltique. Ce n’est qu’au début du XIXe siècle que le destin des forêts de pin blanc d’Amérique bascule en raison des conflits entre les Français et les Britanniques. Depuis 1793, la France progresse vers le nord du continent européen de sorte qu’en 1806-1807, l’empereur Napoléon impose un blocus sur la Baltique et prive le Royaume-Uni de sa principale source d’approvisionnement en bois. Les Britanniques se tournent alors vers leurs colonies de l’Amérique du Nord. C’est le début de la fin pour les immenses forêts de pin qui couvrent le nord-est du continent.

Les beaux peuplements de pin blanc situés sur le long de la côte de la Nouvelle-Écosse sont vite assaillis. Ceux de l’Ile-du-Prince-Édouard disparaissent rapidement aussi. Suivent les peuplements en bordure des rivières Saint-Jean, Miramichi, Sainte-Croix, Richibucto, Kouchibouguac, et autres cours d’eau du Nouveau-Brunswick (Lower, 1973). Ceux-ci font l’objet de coupes intensives visant les plus beaux spécimens et ne laissant aux populations locales que le minimum nécessaire pour subvenir à leurs besoins. Les arbres sont abattus et équarris sur place. Ils sont ensuite transportés vers les rivières et acheminés vers les principaux ports de mer d’où ils sont chargés à bord des bateaux qui les transportent outre Atlantique. Plusieurs milliers de tonnes de bois équarri sont ainsi dirigées vers le Royaume-Uni en provenance du Nouveau-Brunswick.

Un peu auparavant, les entrepreneurs avaient envahi le secteur du lac Champlain à la recherche de pin et de chêne. En peu de temps, les réserves de pin blanc de cette région sont également extirpées. Le bois équarri est assemblé en radeaux et flotté sur la rivière Richelieu vers le port de Québec ou dirigé vers le sud pour approvisionner le marché américain.

Le port de Québec devient, vers 1810, la plaque tournante de l’industrie du bois en Amérique du Nord.

Les grandes forêts du Haut-Saint-Laurent sont également ciblées et la coupe, amorcée depuis quelques années, connaît au début du XIXe siècle un essor considérable. L’industrie du bois équarri se développe rapidement pour répondre à la demande du Royaume-Uni alors en plein développement industriel. Le port de Québec, qui jusqu’ici exportait des quantités de bois équarri comparables à celles de Saint-Jean (Nouveau-Brunswick), devient, vers 1810, la plaque tournante de l’industrie du bois en Amérique du Nord. Des centaines de radeaux de pin y sont acheminés. Les bateaux chargés de bois quittent Québec à destination de Liverpool, de Bristol, de Londres et des ports de la marine britannique. Cette industrie surpasse désormais le commerce de la fourrure au Canada. Les entrepreneurs forestiers et les propriétaires de bateaux font fortune alors que la collecte et le transport du bois procurent de l’emploi à des milliers de personnes et favorisent l’arrivée et l’établissement de nouveaux immigrants.

En 1812, les États-Unis et le Royaume-Uni sont en guerre. Le nombre de radeaux en provenance du Richelieu chute. Les territoires d’exploitation sont maintenant le Haut-Saint-Laurent et la vallée de l’Outaouais où des peuplements incroyables ont été découverts.

Les raftsmen

L’exploitation du pin en Outaouais constitue une phase marquante de l’industrie forestière au Canada. Le bois y est abondant et le pin qu’on y trouve est d’une qualité exceptionnelle. Cependant, comme la distance entre les chantiers et le port de Québec est grande, les exploitants doivent user d’ingéniosité pour en assurer l’approvisionnement. C’est l’époque des raftsmen. Le bois équarri est d’abord assemblé en radeaux de petite dimension qui peuvent franchir les cours d’eau étroits et les ouvrages érigés pour contourner les principaux obstacles naturels. À mesure que la rivière devient plus large, les radeaux sont joints et deviennent des plateformes navigables. De véritables villages flottants s’organisent et la vie sur les immenses radeaux qui descendent le fleuve Saint-Laurent occupe désormais une place dans le folklore et la musique traditionnelle.

Les radeaux sont joints et deviennent des plateformes navigables.
De véritables villages flottants s’organisent.

Les Raftsmen :
Chanson originaire de la vallée de l'Outaouais, qui remonte à la seconde moitié du XIXe siècle.

Là ousqu'y sont, tous les raftsmen? (X 2)
Dans les chantiers y sont montés.

REFRAIN (après chaque couplet)
Bing sur la ring! Bang sur la rang!
Laissez passer les raftsmen
Bing sur la ring! Bing, bang!

Et par Bytown y sont passés (X 2)
Avec leurs provisions achetées.

En canots d'écorc' sont montés(X 2)
Et du plaisir y s'sont donné.

Des «porc and beans» ils ont mangé (X 2)
Pour les estomacs restaurer.

Dans les «chanquiers» sont arrivés (X 2)
Des manch's de hache ont fabriqué.

Que l'Outaouais fut étonné (X 2)
Tant faisait d'bruit leur hach' trempée.

Quand le «chanquier» fut terminé (X 2)
Chacun chez eux sont retournés.

Leurs femm's ou blond's ont embrassé (X 2)
Tous très contents de se r'trouver!

De nouvelles exportations

Vers 1850, la Grande-Bretagne renoue avec les pays de la Baltique pour son approvisionnement en bois et le fer est de plus en plus utilisé dans la construction navale. La demande de bois nord-américain pour les navires britanniques devient progressivement de l’histoire ancienne. Au même moment, les marchés s’ouvrent et l’exportation des tiges de pin ne se limite plus au marché britannique : le bois est également acheminé vers les États-Unis et d’autres régions du Canada à des fins de construction et d’ébénisterie. C’est au cours de cette période (1850 à 1880) que se produit l’exploitation massive des forêts de pin de la région de la Mauricie et du Saguenay. Les explorateurs découvrent avec stupéfaction les richesses forestières de la vallée du Saint-Maurice. Le pin blanc y abonde loin au nord du Saint-Laurent jusqu’aux rivières Vermillon et Tranche (Gélinas, 1984). La coupe se fait rapidement, avec peu de soucis et beaucoup de gaspillage. On assiste aux derniers souffles des grandes forêts de pin d’antan.

« Un billot de 40 pouces, par exemple, taré de quelque manière que ce soit, soit d’un peu de pourri au cœur, soit d’une ponque, soit d’une givelure un peu profonde était laissé à pourrir sur place. Le territoire de Sainte-Flore et de Saint-Boniface est resté jonché de ces troncs géants, de chacun desquels on aurait pu tirer des centaines de pieds de bonne planche. Ce gaspillage a duré jusqu’à la fin du siècle dernier, alors que le beau bois de pin commença à se faire rare dans le Saint-Maurice. » (Boucher, 1952)

Le passage du bois équarri au bois de sciage

Le bois est à la base du commerce canadien pendant la plus grande partie du XIXe siècle. Il contribue à l’essor économique et favorise l’investissement, l’immigration et le développement de villes et de villages. À peu près toutes les rivières donnant sur l’océan Atlantique, les Grands Lacs et le fleuve Saint-Laurent sont utilisées pour le flottage du bois. À l’embouchure des rivières, des ports de diverses importances sont aménagés.

L’industrie du bois de sciage connait son apogée au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle.

Les années 1850 à 1875 sont considérées comme une période charnière dans l’histoire des forêts publiques. Les forêts de pin du Nouveau-Brunswick et de la Gaspésie sont maintenant presque toutes épuisées et plusieurs mesures de gestion de la forêt sont mises en place par les gouvernements des provinces, dont la constitution de blocs de concessions forestières au Québec et en Ontario. On assiste au passage du marché du bois équarri à celui du bois de sciage. Le processus d’industrialisation, quoique encore modeste, amorce un tournant. Le bois de sciage de pin et d’épinette devient de plus en plus en demande et les quantités produites augmentent en importance (sept fois plus en 1873 qu’en 1850). Pour sa part, le marché du bois équarri, constitué à 95 % de pin, se stabilise. La saison 1865-1866 marque pour de bon la prépondérance du sciage sur l’équarrissage au sein des forêts publiques (Gaudreau, 1999).

Il semble y avoir cependant un certain décalage selon les régions, lequel s’explique par le fait que les entrepreneurs forestiers coupent d’abord les plus beaux spécimens destinés à l’équarrissage. À volume égal, le bois équarri a plus de valeur que le bois de sciage. Les entrepreneurs se lancent ensuite dans l’exploitation des spécimens secondaires qu’ils acheminent aux scieries. Les plus beaux spécimens ayant été abattus en premier, le diamètre des billots décroit sans cesse. Le pin cède lentement sa place à l’épinette.

À compter de 1866 jusqu’en 1874, la demande américaine de bois de sciage connait une forte croissance. On assiste à l’urbanisation de la côte atlantique et à l’épuisement des ressources de la Nouvelle-Angleterre. Les villes de New York et de Philadelphie comptent respectivement plus de un million et plus de 500 000 habitants. La demande intérieure, quoique plus difficilement mesurable, constitue désormais une bonne partie du marché : ce n’est donc plus tout le bois qui est exporté outre-mer. L’apparition de la machine à vapeur (locomotives, bateaux, etc.) et du chemin de fer favoriseront bientôt la création de scieries et le transport du bois vers les régions en développement.

Une ressource fragile, un patrimoine végétal à protéger

Pin blanc © La Maison Léon-Provancher, 2007

L’industrie du bois de sciage connait son apogée au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle. Les producteurs de bois commencent à investir dans les moulins à scie et de véritables villes naîtront autour de ceux-ci. C’est le cas de Hull au Québec et de Carleton au Nouveau-Brunswick. Les voies d’accès créées pour l’exploitation forestière sont bientôt utilisées pour la colonisation. Vers la fin du XIXe siècle, même si les scieries demeurent florissantes, on assiste à l’émergence du bois de pâte et à l’effondrement total de l’équarrissage. C’est le triomphe de la « pitoune » (Ethnotech inc., 1983). L’épinette est désormais l’essence ciblée et c’est la fin de l’exploitation massive des forêts de pin blanc.

En quelques siècles seulement, plus de trois milliards de mètres cubes de bois de pin ont été extirpés des forêts de l’est de l’Amérique du Nord. L’impact de ces coupes sur les écosystèmes forestiers est énorme, et il semble que le point de non-retour ait été atteint il y a déjà bien longtemps. Malgré qu’il apparaisse aujourd’hui impossible de redonner au pin blanc son statut d’antan, la conservation des pinèdes résiduelles constitue tout de même un enjeu de taille pour les générations actuelles et futures. Des efforts importants de protection et de restauration devront être consentis si on veut sauvegarder ce qu'il reste de ce précieux patrimoine naturel.


Raymond Quenneville
Spécialiste de la gestion du feu
Parcs Canada
Centre de services du Québec

 

BIBLIOGRAPHIE

Boucher, Thomas, Mauricie d’autrefois, Trois-Rivières, Éditions du Bien public, 1952, 206 p.

Ethnotech inc. (Pierre Claveau et Yves Laframboise), L’exploitation forestière destinée au commerce du bois à Québec au 19e siècle, Québec, Parcs Canada, 1983, 443 p.

Gaudreau, Guy, Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario, 1840-1900, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1999, 178 p.

Gélinas, Cyrille, L’exploitation et la conservation forestière au parc national de la Mauricie, 1830-1940 : dossier documentaire, Québec, Parcs Canada, 1984, 460 p.

Gillis, Sandra J., The Timber Trade in the Ottawa Valley, 1806-54, Ottawa, Parks Canada, Department of Indian and Northern Affairs, 1975, 515 p.

Ingall, Mr., « Remarques sur le territoire traversé par l’expédition du Saint-Maurice dans l’été de 1829 », dans Rapport des commissaires nommés en vertu de l'Acte de la 9e Geo. IV, chap. 29, pour explorer cette partie de la province qui se trouve entre les rivières Saint-Maurice & Ottawa, et qui est encore demeurée déserte et sans culture, Québec, Imprimé par Neilson & Cowan, 1830.

Lower, Arthur R. M., Great Britain’s Woodyard : British America and the Timber Trade, 1763-1867, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1973, 271 p.

 

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