Généalogie au Québec
par Fournier, Marcel
La généalogie, c'est avant tout l'histoire familiale, la connaissance des ancêtres, ceux de la première génération comme ceux de la dixième génération. Elle est le résultat d'un ensemble de recherches d'ordre biographique, démographique et sociologique réalisées à partir des archives et des imprimés. Au fil des ans, le Québec s'est taillé une place de choix dans ce champ de recherches particulièrement vivant.
Article available in English : Genealogical Research in Quebec
Une science de l'histoire
La généalogie est une science auxiliaire de l'histoire, une discipline qui a pour objet la recherche de l'origine et l'étude de la composition des familles. Mais au-delà de la définition même, on constate qu'il y a plusieurs généalogies sur lesquelles nous reviendront plus loin : les généalogies agnatiques, les généalogies patronymiques, les généalogies des quartiers et autres variantes connues des généalogistes. Mais la généalogie c'est beaucoup plus qu'une suite de noms alignés sur des feuilles, des tableaux ou dans des ordinateurs.
Une mémoire patrimoniale vivante
Retracer ses origines et celle de tout un peuple, c'est une œuvre nationale comme l'affirmait Cyprien Tanguay lors de la publication de son célèbre dictionnaire généalogique en 1871. Les Québécois s'intéressent de plus en plus à leurs origines de même qu'à l'histoire de leur patronyme, phénomène qui s'est amplifié en raison de l'éclatement du noyau familial depuis quelques décennies. La quête de son identité est une notion patrimoniale qui demeure ancrée dans l'histoire de la famille québécoise. La généalogie s'inscrit de plein droit au patrimoine culturel immatériel de l'Unesco puisqu'il s'agit de la transmission des connaissances familiales par la tradition orale ou par l'écrit.
Retracer ses origines c'est renouer avec ses ancêtres qu'ils soient de souches récentes ou anciennes. Établir une filiation patriarcale ou matriarcale sur dix ou douze générations, c'est confirmer l'héritage familial permettant de préciser son identité et son appartenance à une famille comme à celle d'une nation.
La généalogie, phénomène mondial
Depuis les années 1970, la recherche généalogique s'est développée à un tel rythme que cette discipline auxiliaire de l'histoire est devenue planétaire. Cet engouement phénoménal pour les études généalogiques a facilement traversé les frontières de nos pays pour se répandre partout dans le monde. La généalogie compte des adeptes de tous les âges, issus de toutes les classes sociales et de différents niveaux d'instruction, une situation que l'on ne trouve guère dans les autres domaines de la connaissance.
Longtemps boudés par les historiens «patentés», les travaux des généalogistes amateurs ont pris une telle ampleur que les professionnels de l'histoire ont dû reconnaître l'évidence que ces travaux, souvent échelonnés sur de longues périodes par des chercheurs méticuleux constituaient des bases indispensables à la recherche historique, démographique et sociologique. La généalogie a aussi ses maîtres qui ont insufflé une rigueur à la recherche. Des généalogistes chevronnés comme Archange Godbout, René Jetté, Michel Langlois, Bertrand Desjardins et bien d'autres qui, par leurs travaux, leurs conférences et leurs cours ont formé toute une armée de généalogistes, qui devenus à leur tour, au cours des années des chercheurs rigoureux et prolifiques. Le guide pratique de généalogie Retracez vos ancêtres de Marcel Fournier propose de nombreuses ressources, des astuces de recherches et plusieurs sites Internet reliés à la généalogie au Québec et ailleurs dans le monde.
Au début du 20e siècle, les généalogies étaient patrilinéaires et agnatiques, c'est-à-dire de fils en père. Aujourd'hui elles sont aussi souvent matrilinéaires et utérines. Cette contribution à la généalogie est due en grande partie aux généalogistes telles que Jeanne Grégoire et Marthe Faribault-Beauregard qui ont dressé et publié plusieurs généalogies qui font remonter les ancêtres de fille en mère à travers les générations.
Au cours des quarante dernières années, les généalogistes de partout ont produit toute une panoplie de guides, d'inventaires, de répertoires et de fichiers pour faciliter la recherche. En plus des répertoires ou des tables de mariages classiques, on a vu apparaître des cédéroms, des banques de données accessibles par ordinateur, par Minitel ou dans le réseau Internet. Tous ces nouveaux outils ont accru l'intérêt du public pour la généalogie et l'histoire familiale. Si dans le passé, les généalogistes œuvraient de manière individuelle, il en est autrement aujourd'hui car ces techniques modernes de communication favorisent des regroupements permettant de produire des œuvres aussi considérables que complexes.
Au Québec, en Acadie ou en Louisiane aussi bien qu'en France, en Belgique ou en Suisse, la généalogie s'est développée au gré des intérêts des communautés respectives bien que la France soit souvent à l'origine de nos histoires généalogiques. Bien que talonnés par les généalogistes américains dont les moyens matériels et financiers sont presqu'infinis, - pensons seulement aux travaux des Mormons et des grandes sociétés américaines de généalogie - les francophones sont à l'avant-garde du développement planétaire que connaît la généalogie et la recherche sur l'histoire de familles.
L'histoire de la généalogie québécoise
La généalogie québécoise remonte à la fin des années 1860; c'est donc une histoire qui compte un peu plus de 150 ans. Des notaires, des avocats et des prêtres furent les premiers à s'intéresser à la généalogie et ont dressé les premières généalogies familiales. Dans les années 1930, Pierre-Georges Roy, Archange Godbout et Gabriel Drouin représentaient, dans une certaine mesure, toute la généalogie au Québec.
En 1943, le mouvement généalogique a été lancé au Canada français par la fondation de la Société généalogique canadienne-française, dix ans avant les premières associations françaises. Ce mouvement novateur dans la communauté canadienne-française avait pour objectif de créer un groupe d'entraide qui pourrait faire contrepartie à l'Institut généalogique Drouin, une société privée dont les archives n'étaient pas publiques.
Au cours des années 1950, des antennes de la Société généalogique canadienne-française sont implantées dans différentes régions du Québec. Au cours des années 1960 et 1970, la généalogie prend une telle ampleur que d'autres sociétés voient le jour dont celles de Québec en 1961, de Sherbrooke en 1974 et dans l'Outaouais en 1978. Parallèlement à la fondation de ces sociétés, les Archives nationales du Québec ouvrent des antennes dans différentes régions dont une à Montréal en 1971. Cette présence régionale élargie qui permettait d'offrir aux chercheurs une plus grande accessibilité aux sources documentaires a encore favorisé l'essor de la généalogie au Québec.
En regroupant les diverses associations généalogiques, La Fédération québécoise des sociétés de généalogie, créée en 1984, veut promouvoir la généalogie. Aujourd'hui, avec 60 sociétés membres, la Fédération encourage, entre autre, l'entraide généalogique, une dynamique essentielle pour l'avenir de la généalogie au Québec. Les sociétés de généalogie regroupent plus de 20 000 membres, répartis de l'Abitibi à la Gaspésie, de la Montérégie au Saguenay-Lac-Saint-Jean.
De nombreux développements
Les sociétés de généalogie québécoise ont souvent innové et ont développé des outils de recherches propres aux particularités régionales. Presque toutes les sociétés publient un bulletin ou une revue, éditent des répertoires de mariages, de baptêmes et de sépultures ou produisent des études fouillées sur l'histoire des familles québécoises. Il ne saurait être question entre elles de compétitivité, car elles doivent plutôt s'unir pour défendre avec vigueur les intérêts généalogiques de la nation que ce soit au niveau de l'accessibilité, de la conservation et de la diffusion. Un projet commun comme BMS 2000 - la base de données informatique la plus complète du Québec -, est un exemple concret de projets innovateurs et résolument tournés vers l'avenir. Le Fichier Origine est une autre réalisation qui fait avancer la recherche généalogique au Québec.
Les sociétés de généalogie ne sont plus les seules à occuper le champ de la diffusion des ressources documentaires. L'intérêt pour la recherche de nos souches familiales s'est développé à un point tel que plusieurs bibliothèques publiques et institutions archivistiques ont aménagé des locaux adaptés aux besoins de ces nouvelles clientèles à la recherche de leur histoire familiale. Plusieurs sociétés d'histoire ont aussi enrichi leurs activités d'un volet généalogique et même modifié leur identité corporative pour s'assurer du maintien de leurs adhérents.
La généalogie de demain
De quoi sera faite la généalogie au 21e siècle ? Voilà une question à laquelle nous tenterons d'apporter quelques éléments de réponse à la lumière des acquis du passé et des pratiques actuelles. La prolifération des instruments de recherches, la diffusion des bases de données accessibles par cédérom ou par Internet permettent un accès presque illimité aux sources généalogiques qu'elles soient canadiennes, américaines ou européennes.
Les chercheurs peuvent actuellement compiler une généalogie agnatique sur dix ou douze générations à partir des nombreuses sources existantes comme les répertoires de mariages, les recensements nominatifs, les actes notariés et les dictionnaires de famille en l'espace de quelques heures. Le défi n'est donc plus de dresser des listes d'ancêtres mais de produire de véritables histoires de famille. Souhaitons voir le jour où chaque famille québécoise, de souches anciennes, d'immigration plus récente ou toute nouvelle puisse avoir son histoire de famille.
La diffusion des nombreuses bases de données, et tout dernièrement des actes de l'état civil dans Internet, ont laissé perplexe plusieurs sociétés de généalogie inquiètes pour leur survie. Il sera donc important, dans les prochaines années, de créer de nouveaux créneaux ou d'accroitre les services existants comme la formation, la diffusion de l'information et l'entraide généalogique.
L'autre grand défi de la généalogie de demain sera sans doute l'accès aux sources archivistiques plus récentes comme les registres de l'état civil di 20e siècle, les recensements nominatifs, les dossiers des adoptions, etc. Les renseignements nominatifs sur nos ancêtres pourront-ils encore être divulgués sans contrevenir aux nouvelles lois concernant la confidentialité des renseignements personnels et restreignant l'accès aux archives publiques ou privées ?
Si la généalogie est maintenant reconnue comme une science auxiliaire de l'histoire, il en est tout autre pour ceux qui la pratiquent. Bien que la Fédération québécoise des sociétés de généalogie ait instauré en 1998 le Bureau d'attestation de compétences en généalogie, il n'en demeure pas moins que la généalogie doit passer par l'université pour former des généalogistes compétents. Il est donc à espérer que nos universités puissent offrir un minimum de formation dans ce domaine comme un certificat en généalogie et pourquoi pas un baccalauréat comme il se fait dans certaines universités françaises.
La généalogie a un avenir au Québec puisque de plus en plus de Québécois sont à la recherche de leurs ancêtres que ce soit de la première génération ou de la dixième. Il faut que les généalogistes et les associations qui font la promotion de la généalogie poursuivent leurs efforts afin que l'histoire de nos ancêtres comme celle de nos familles soient au cœur des préoccupations et des priorités de tous.
Marcel Fournier, AIG
Historien
et généalogiste
Officier
des Arts et des Lettres de France
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