Robert-Lionel Séguin, révélateur de la civilisation traditionnelle des Québécois

par Bélanger, Diane

Robert-Lionel Séguin

Robert-Lionel Séguin, historien, ethnologue et muséologue s'est intéressé à la civilisation de l'« habitant », ce premier artisan de la Nouvelle-France, tout au long de sa longue carrière de chercheur. Dès ses premières années universitaires, et lors de ses études doctorales en France, il s'est passionné pour la civilisation matérielle des bâtisseurs de notre pays, qu'il considérait « oubliée » par les chercheurs. Il y a donc consacré sa vie professionnelle. Pendant plus de 30 ans, il a amassé une extraordinaire collection d'archives et plus de 25 000 objets-témoins de la vie quotidienne en Nouvelle-France, puis du Québec rural jusqu'à la modernisation de la société au début du XXe siècle. Ces collections sont aujourd'hui conservées au Musée québécois de culture populaire de Trois-Rivières.


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Origines

Robert-Lionel Séguin est né à Rigaud, comté de Vaudreuil en 1920. Ce village, situé à la frontière ouest du Québec, va en quelque sorte l'inspirer toute sa vie. Comme il dira lui-même « L'habitant frontalier est davantage conscient de son identité, de sa vocation, de sa mission. NOTE 1 ». Toute la carrière de ce chercheur émérite, passionné d'histoire et de patrimoine, va être orientée vers la recherche de connaissances au sujet de la vie matérielle des Français établis le long du fleuve Saint-Laurent au cours du XVIIe siècle, dont découlera une véritable quête de l'identité nationale des Québécois.

 

La carrière de Robert-Lionel Séguin

Après quelques années à titre de chercheur au Musée du Québec et au Musée national du Canada, Robert-Lionel Séguin devient chargé de cours à l'Université Laval. Il décroche ensuite un Doctorat ès lettres et histoire à l'Université Laval en 1961, puis un autre Doctorat ès lettres et sciences humaines à l'Université René Descartes à Paris en 1972 et enfin, un troisième Doctorat ès lettres et ethnologie à l'Université de Strasbourg en 1981. Il étudie alors L'équipement aratoire et horticole en Nouvelle-France et au Québec du XVIIe au XIXe siècles. Au cours de ses activités de recherche sur le terrain en France, il travaille avec l'équipe des ethnologues du Musée national des Arts et Traditions populaires, sous la direction de Georges-Henri Rivière, le célèbre muséologue de la culture populaire française. Il caresse déjà l'idée de créer un musée de la culture populaire au Québec, un projet qui se réalisera bien après sa mort. En 1971, Robert-Lionel Séguin fonde le Centre de documentation en civilisation traditionnelle à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Il en est le directeur jusqu'à son décès en 1982.

 

Un passionné

Gigueur

Très jeune, il est initié par sa mère à la conservation du patrimoine de la famille Séguin, la plus ancienne de la seigneurie de Vaudreuil. Ses premières collections s'orientent vers la numismatique et la philatélie, puis vers les journaux, les documents manuscrits et les livres anciens. À partir de 1950, il commence à collectionner les vieux meubles québécois, les instruments aratoires et les pièces d'art populaire. En 1955, il publie un premier livre Le mouvement insurrectionnel dans la presqu'île de Vaudreuil, 1837-38. On discerne déjà l'orientation très politique de l'œuvre de Robert-Lionel Séguin qui va dédier plusieurs de ses ouvrages aux hommes, aux femmes et aux enfants de la nation québécoise.

Dans les années 1950, Robert-Lionel Séguin exerce son métier de chercheur dans la solitude, voire même la clandestinité bien que son œuvre s'inscrive à la suite des grands pionniers de la recherche en culture matérielle tel Marius Barbeau et Gérard Morisset. Il développe une méthode personnelle autour de l'histoire de l'objet en mettant en relation les objets avec les documents d'archives notariales, les manuscrits et les imprimés. Il publie son œuvre magistrale en 1967, La civilisation traditionnelle de l'habitant aux XVIIe et aux XVIIIsiècles. En avant-propos, il s'insurge contre le manque de connaissances au sujet de la vie quotidienne de nos ancêtres : « on n'avait pratiquementrien écrit sur l'Habitant, ce principal artisan de la Nouvelle-France. Pourquoi ce désintéressement, cette sorte de conspiration du silence à l'égard d'une figure dominante de la société canadienne-française? Trop de travailleurs n'ont cherché que des sujets à panache. La valeur d'une œuvre historique s'estime pourtant à d'autres normes. Les coutumes, les mœurs et les conditions économico-sociales de l'homme du terroir méritent sûrement un meilleur sort. NOTE 2» 

 

Robert-Lionel Séguin, un diffuseur de connaissances

Robert-Lionel Séguin

Au cours de sa fructueuse carrière, Robert-Lionel Séguin a rédigé plus de 300 articles dans les hebdomadaires régionaux, les grands quotidiens montréalais ainsi que dans de nombreuses revues spécialisées. Il a aussi publié 17 études majeures sur la culture traditionnelle des Québécois. Il a préparé 13 expositions et collaboré à la réalisation d'une série de films sur les métiers traditionnels en collaboration avec Léo Plamondon. Il a fondé et dirigé trois collections : Cahiers du Québec, Revue d'ethnologie du Québec et Archives d'ethnologie du Québec NOTE 3.

Plusieurs des articles de Robert-Lionel Séguin touchent des sujets dont la seule évocation est un véritable voyage dans le temps et le territoire québécois, par exemple : La récolte du jonc de cajeu et de la rouche à l'île d'Orléans et à l'île aux Oies, Les galants de la Nouvelle-France ou encore Les mœurs publiques à LachineNOTE 4D'autres articles sont de véritables défis à la mémoire collective. D'ailleurs, Robert-Lionel Séguin commençait souvent ses articles par les termes : « Il y a quarante ans...», c'est-à-dire, aujourd'hui 100 ans que bien des objets sur lesquels ils écrivaient ne sont plus utilisés ou sont tout simplement oubliés. C'est le cas de la crécelle, par exemple, un instrument sonore dont se servait le bedeau pour appeler les fidèles aux offices de la semaine Sainte puisqu'il était interdit de sonner les cloches de l'église pendant cette période.

 

La collection de Robert-Lionel Séguin

Publicité, Visites Réserve ouverte, Musée québécois de culture populaire

Robert-Lionel Séguin a sillonné le territoire québécois pendant plus de 30 ans. Fin collectionneur, il a amassé une collection de plus de 35 000 objets représentatifs de la culture matérielle des Québécois avant l'urbanisation et l'industrialisation de la société. Suite à son décès, une partie de la collection a été acquise par l'Université du Québec à Trois-Rivières en 1983. Elle y a été déménagée au cours de l'automne de la même année. En 1991, la gestion de la collection a été confiée au Musée des arts et Traditions populaires, aujourd'hui le Musée québécois de culture populaire à Trois-Rivières.

La collection du musée qui compte aujourd'hui près de 22 000 artefacts couvre tous les aspects de la culture matérielle. L'intention de Robert-Lionel Séguin était d'amasser des objets qui permettraient d'illustrer tous les moments de la vie quotidienne des Québécois d'autrefois. On retrouve donc des objets qui témoignent des travaux domestiques, artisanaux, agricoles et forestiers ainsi que de tous les métiers qui y étaient reliés. Les activités de chasse et pêche, de fabrication d'objets variés, les instruments de musique et les jeux et divertissements y sont très présents. Le mobilier, les objets reliés à l'alimentation, les textiles et les costumes sont aussi en grand nombre. On retrouve également un grand nombre de moyens de transport tels que des traîneaux, des carrioles et des voitures en tous genres, ainsi que des embarcations variées représentatives de toutes les régions du Québec.

Robert-Lionel Séguin s'est aussi beaucoup intéressé aux rites de passage, de la naissance à la mort, aux activités reliées au cycle calendaire,aux faits de folklore ainsi qu'aux objets de culte. L'art populaire, qu'il affectionnait particulièrement compte près de 1 000 oeuvres. Pour Séguin, tous les objets de sa collection étaient des « archives figurées » qui relataient la vie quotidienne au même titre que les archives documentaires. Cette collection est désormais accessible aux chercheurs et aux muséologues.

 

Un archiviste minutieux

Sacré-coeur

Le métier d'archiviste qu'occupe Séguin pendant plus d'une douzaine d'années au bureau du protonotaire de la Cour supérieure du district de Montréal explique peut-être la minutie avec laquelle il a documenté ses ouvrages et sa collection. Ses archives couvrent plus de 40 mètres linéaires et sont constituées en grande partie de la documentation qu'il a utilisée pour rédiger ses textes. On y retrouve des manuscrits et des imprimés, des volumes, des revues et des journaux. Le fichier généalogique et le fichier ethnographique sur la civilisation traditionnelle complètent cette masse documentaire qui est conservée à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Le fonds Robert-Lionel Séguin a été reconnu « Bien culturel » en 1979 par le ministre des Affaires culturelles du Québec.

 

Les petits bâtiments de la collection

La collection Robert-Lionel Séguin est aussi composée de sept petits bâtiments qui ont été collectionnés dans le but de conserver des témoignages particuliers du passé. Il s'agit de deux maisons de type architectural traditionnel, deux laiteries, un séchoir à maïs, une baraque à foin provenant des Îles de la Madeleine, une grange à encorbellement et une porcherie à toit de chaume. Sept de ces bâtiments peuvent être visités à l'extérieur du Musée de culture populaire à Trois-Rivières. Fidèle à son habitude, Robert-Lionel Séguin a documenté chacun de ces bâtiments par l'enquête orale conjuguée à la recherche historique, archivistique et même artistique. Il s'est aussi soucié de la diffusion de ces connaissances. C'est le cas du séchoir à maïs de type octogonal construit vers 1872 par Amédée Séguin et acquis par l'ethnologue en 1964. Dans un article paru dans la Revue d'ethnologie du Québec No 5, Robert-Lionel Séguin décrit le bâtiment, fait son historique et documente la pièce par des enquêtes auprès de personnes âgées de sa famille. L'article est illustré d'œuvres datant de 1853, intitulés Scènes champêtres de la Nouvelle-Angleterre par les artistes Currier et IvesNOTE 5.

Un autre objet très particulier a été acquis à la même époque : le marche-à-terre, une pièce monumentale constituée d'une grande roue de 4,27 mètres de diamètre. Cet objet composé d'un système d'engrenage était actionné par les bêtes pour battre les grains. Il a inspiré l'architecte du Musée québécois de culture populaire et occupe une rotonde dans le grand hall de l'institution à Trois-Rivières.

 

Un vaste héritage

Roman Le dernier capot gris, Robert-Lionel Séguin

Robert-Lionel Séguin est décédé en 1982, à peine âgé de 62 ans. Salué comme l'historien de l'homme du Québec, il a laissé à ses compatriotes une œuvre considérable dont on n'a peut-être pas encore exploré toutes les possibilités, notamment en termes de recherche d'enseignement auprès des jeunes. Chose certaine, il nous a légué une solide connaissance de l'identité du peuple québécois et de sa spécificité culturelle.

 

Diane Bélanger


 

NOTES

1. René Bouchard (dir.), La vie quotidienne au Québec : histoire, métiers, techniques et traditions. Mélanges en l'honneur de Robert-Lionel Séguin, Québec, Presses de l'Université du Québec, 1983, p. 32.

2. Robert-Lionel Séguin, La civilisation traditionnelle de l'« habitant » aux XVIIe et XVIIIe siècles : fonds matériel, 2e éd., Montréal, Fides, 1973 [1967], p. 7.

3. Pour une biobibliographie complète de Robert-Lionel Séguin, voir l'article de René Bouchard et Carole Saulnier, dans René Bouchard (dir.), op. cit., p. 51-85.

4. Revue d'ethnologie du Québec, no 2, 1975, p. 9-22; La Semaine (Montréal), vol. 1, no 11, 20 mars 1967; La Semaine (Montréal), vol. 1, no 22, 12 juin 1967.

5. Robert-Lionel Séguin, « Le séchoir à maïs de type pentagonal », Revue d'ethnologie du Québec, no 5, 1977, p. 9-17.

 

BIBLIOGRAPHIE

Bergeron, Yves, « Portrait de Robert-Lionel Séguin », Culture et tradition, no 8, 1984, p. 111-125.

Bouchard, René (dir.), La vie quotidienne au Québec : histoire, métiers, techniques et traditions. Mélanges en l'honneur de Robert-Lionel Séguin, Québec, Presses de l'Université du Québec, 1983, 395 p.

Brouillard, Marcel, L'homme aux trésors : Robert-Lionel Séguin, Montréal, Québec Amérique, 1996, 205 p.

Séguin, Robert-Lionel, Le costume civil en Nouvelle-France, Ottawa, Musée national du Canada, 1968, 330 p.

Séguin, Robert-Lionel, Les divertissements en Nouvelle-France, Ottawa, Musée national du Canada, 1968, 79 p.

Séguin, Robert-Lionel, La civilisation traditionnelle de l'« habitant » aux XVIIe et XVIIIe siècles : fonds matériel, 2e éd., Montréal, Fides, 1973 [1967], 703 p.

Séguin, Robert-Lionel, L'équipement aratoire et horticole du Québec ancien, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, Montréal, Guérin littérature, 1989, 2 vol.

 

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