Léon Provancher, l'héritage d'un scientifique du XIXe siècle

par Perron, Jean-Marie

Exemplaires du Naturaliste canadien

Prêtre, naturaliste, écrivain, éditeur, vulgarisateur scientifique, systématicien et taxinomiste, Léon Provancher fut tout cela à la fois. Les scientifiques d'aujourd'hui le reconnaissent comme le pionnier des sciences au Canada et un des grands naturalistes nord américains du XIXe siècle. Il a fondé en 1868 Le Naturaliste canadien, la plus ancienne revue scientifique francophone en Amérique du Nord, une revue qui continue d'exister de nos jours. La réunion de ses collections en sciences naturelles à l'Université Laval, avec sa bibliothèque scientifique et divers documents le concernant, forme un ensemble patrimonial scientifique unique du XIXe siècle et une source de référence et d'étude pour les chercheurs du monde entier. 


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Les collections scientifiques de l'abbé Provancher

Tiroir de la collection Provancher de mollusques

La partie matérielle de l'héritage scientifique laissé par l'abbé Provancher, suite à son décès survenu en 1892, est pour l'essentiel conservée aux Collections de l'Université Laval, dans le Pavillon Louis-Jacques-Casault. Dans ces réserves, qui assurent d'excellentes conditions de conservation et de recherche, on retrouve trois collections d'insectes réunissant environ 30 000 spécimens, un herbier composé de 900 planches, une collection de coquillages des mers du monde d'environ 25 000 spécimens, une bibliothèque scientifique de quelque 500 volumes, l'œuvre écrite du scientifique et divers documents d'archives, dont des lettres de nombreux chercheurs ayant étudié divers éléments de ce patrimoine. De plus, la conservation des spécimens selon un classement identique aux catalogues manuscrits de Provancher, ainsi que la présence de quelques cabinets d'entomologie d'époque, en bois, ajoute au cachet historique de l'ensemble.

 

La Société Provancher d'histoire naturelle du Canada

Créée en 1919 par des passionnés de nature de Québec inspirés par l'œuvre de l'abbé Provancher, cet organisme se charge notamment de la publication du Naturaliste canadien, revue fondée par l'abbé Provancher. Cette Société œuvre aussi à la protection et la gestion de milieux naturels, à l'éducation et à la diffusion des connaissances dans le domaine des sciences naturelles. Outre ses publications et activités d'interprétation, la Société gère quelques territoires à des fins de conservation et de mise en valeur. Elle a notamment fait l'acquisition de l'île aux Basques en 1929, un lieu historique national du Canada depuis 2001, dont elle est toujours responsable. S'ajoutent à celle-ci les Îles Razades dans l'estuaire du Saint-Laurent, le territoire du marais Léon-Provancher à Neuville, et un territoire de 32 acres dans le Kamouraska qui comprend l'Île Dumais et le rocher aux phoques.

 

Le parcours d'un pionnier

Portrait de Léon Provancher par le studio Livernois

Léon Provancher naquit à Bécancour le 10 mars 1820. Après ses études classiques, philosophiques et théologiques au Séminaire de Nicolet, il fut vicaire dans plusieurs paroisses de la grande région de Québec avant d'occuper successivement les cures de Saint-Victor-de-Tring, de l'Isle-Verte, de Saint-Joachim-de-Montmorency et de Portneuf. Ses réalisations temporelles et pastorales dans ces paroisses furent nombreuses, certaines d'entre elles suscitèrent parfois de la controverse. Mais ce sont ses études en sciences naturelles qui ont marqué à jamais son œuvre.

 

L'entomologiste

Coleocentrus quebecensis

C'est dans le domaine de l'entomologie que Provancher fit avancer singulièrement les connaissances scientifiques. Au cours des vingt-cinq dernières années de sa vie, qu'il consacra entièrement à cette science, il nomma et décrivit 1126 espèces d'insectes, dont 995 de l'ordre des Hyménoptères. Ce groupe d'insectes réunit de nombreuses espèces parasites, phytophages et pollinisatrices qui ont une importance majeure pour les humains. Plusieurs espèces sont utilisées de nos jours dans la lutte biologique, certaines s'attaquent aux plantes que nous cultivons tandis que d'autres pollinisent de nombreuses plantes dont nous nous nourrissons. Les spécimens qui lui ont servi à nommer et à décrire ces espèces inconnues de la science avant lui ont une valeur scientifique inestimable. Choisi par l'auteur et bien représentatif du groupe, chacun de ces spécimens est considéré par les scientifiques comme le type qui a servi à la description de l'espèce nouvelle. Le type est la référence à laquelle se réfère le chercheur lorsqu'un doute survient dans l'identification des espèces. Les spécimens-types que Provancher a utilisés pour décrire autant d'espèces sont conservés dans des conditions optimales, tout en demeurant accessibles aux chercheurs du monde entier.

Provancher fut à l'occasion sévèrement critiqué par les scientifiques de son temps. On le considérait comme une personne sans ressource, isolé des grands courants scientifiques et sans formation académique suffisante. À la fin de sa vie, quelques entomologistes nord américains l'ont reconnu comme une autorité de l'ordre des Hyménoptères. Au cours du XXe siècle, plusieurs scientifiques canadiens et surtout américains ont mis en valeur son œuvre scientifique dans leurs travaux taxinomiques. Plusieurs d'entre eux ont reconnu en lui une autorité scientifique. Ses connaissances systématiques et surtout la précision et la qualité de ses descriptions des espèces nouvelles se comparent avec celles de ses contemporains nord américains, parfois leur étant nettement supérieures (Barron 1975, Béique 1968, Desmeules 2010).

 

L'écrivain et le vulgarisateur

Bibliothèque Léon Provancher

Au cours de sa vie, Provancher a touché à plusieurs disciplines scientifiques. L'horticulture fut au début le centre de son intérêt. Ses études sur l'acclimatation des plantes durant sa cure de Saint-Joachim furent remarquées et lui permirent de publier le premier traité au Canada sur Le Verger canadien (Provancher 1862). La même année, il réunissait ses connaissances sur la diversité des plantes de son pays dans la première Flore canadienne à paraître au Canada, un ouvrage de 900 pages où le lecteur pouvait retrouver la description de la majorité des plantes connues au Canada d'alors et la façon de les étudier lui-même sans l'aide d'un maître. À la fin des années 1860, son intérêt s'orienta vers l'étude des insectes où il se fit remarquer et fit progresser les connaissances de notre faune. Ses recherches se sont traduites par la publication de la Petite faune entomologique du Canada en trois volumes (Provancher 1877, 1883, 1886). À la fin de vie, il fit paraître la première partie des Mollusques de la province de Québec, la seconde partie manuscrite fut publiée beaucoup plus tard, à titre posthume, par La Rocque (1970).

L'œuvre à laquelle Provancher tenait par-dessus tout et qu'il défendit jusqu'à ses derniers moments est sans conteste sa revue Le Naturaliste canadien, qu'il créa en décembre 1868. Il rédigea la presque totalité des pages des 20 premiers volumes parus. C'est dans son Naturaliste qu'il fit part au public de ses découvertes et qu'il entreprit à lui seul de faire la somme des connaissances de la faune du Québec. Un travail gigantesque si l'on pense qu'aujourd'hui il existe forcément des spécialistes dans chaque discipline des sciences naturelles et parfois, comme pour les insectes, des chercheurs se spécialisent dans une famille d'insectes ou même dans un genre. L'entomologie occupa dans sa revue de nombreuses pages qu'il reprit et compléta dans sa Petite faune. Il présentera au cours des années et dans plusieurs numéros les espèces de mollusques, de poissons, d'oiseaux et de mammifères susceptibles de se rencontrer sur le territoire québécois. Pour chacune d'elles, il donne une description précise de l'espèce, des notes biologiques et des tableaux d'identification afin de permettre au lecteur de mener par lui-même ses études. Déplorant depuis qu'il était séminariste le manque d'ouvrages en sciences naturelles adaptés au pays, il avait, par son humble contribution, réussi à donner aux maisons d'enseignement et au public des ouvrages qui leur permettraient d'étudier notre flore et notre faune. Le Naturaliste canadien existe toujours. Après avoir été longtemps publié par l'Université Laval, cette revue est aujourd'hui portée par la Société Provancher d'histoire naturelle du Canada.

 

Reconnaissance au Canada français

Plaque commémorative

Le Canada français a jusqu'à tout récemment, hésité à voir en Provancher un personnage scientifique d'importance, alors que les scientifiques de l'Amérique du Nord et de l'Europe le reconnaissaient à sa juste valeur. Bien que Marie-Victorin (1917) ait salué l'œuvre taxinomique de Provancher, tout en discréditant sa Flore canadienne, les historiens des sciences au Québec ont minimisé son œuvre (Chartrand et al. 1987). Il faut attendre l'analyse de la Flore canadienne faite par Rousseau et Boivin (1968) et surtout le long travail d'analyse que Desmeules (2010) a mené sur le personnage pour que sa contribution scientifique soit plus justement située dans un contexte historiographique. Pour Rousseau et Boivin, la Flore canadienne, même avec ses lacunes, demeure un ouvrage incontournable de notre littérature scientifique, sans équivalence au Canada anglais. Pendant près de soixante-dix ans, elle fut la seule flore disponible au Canada français. Le travail de Desmeules a le mérite de dissiper les préjugés qui existent encore de nos jours au sujet de sa compétence scientifique. En le situant dans son époque, l'auteur démontre que Provancher possédait des relations solides avec plusieurs scientifiques renommés, connaissait le concept d'espèce aussi bien que ses contemporains et qu'il utilisa une démarche scientifique pour élaborer son œuvre entomologique et taxinomique.

 

Un legs patrimonial unique au Canada

Les connaissances que Provancher a regroupées autant dans ses monographies que dans sa revue est une véritable encyclopédie du règne végétal et animal de notre territoire pour la seconde moitié du XIXe siècle. Son œuvre écrite, ses collections en sciences naturelles et sa bibliothèque scientifique regroupées à un seul endroit offrent aux chercheurs un ensemble unique d'étude et de recherche. Celles-ci illustrent la façon dont on concevait la biodiversité et le classement des êtres vivants au XIXe siècle. Provenant d'un seul auteur, cet ensemble patrimonial scientifique est unique au Canada.


Jean-Marie Perron
Professeur d'entomologie à l'Université Laval de 1969 à 1996
Conservateur des collections Provancher de 1970 à aujourd'hui
Responsable de la section Vie du Centre muséographique de l'Université Laval
Professeur émérite (1999)

 

RÉFÉRENCES CITÉES

Barron, J. R., « Provancher's Collections of Insects, Particularly Those of Hymenoptera, and a Study of the Types of his Species of Ichneumonidae », Le Naturaliste canadien, vol. 102, no 4, 1975, p. 387-591.

Béique, René, « L'œuvre et l'héritage de l'abbé Léon Provancher », Le Naturaliste canadien, vol. 95, no 1, 1968, p. 609-626.

Chartrand, Luc, Raymond Duchesne et Yves Gingras, Histoire des sciences au Québec, Montréal, Boréal, 1987, 487 p.

Desmeules, Mélanie, « La contribution entomologique et taxinomique de l'abbé Léon Provancher », Les Cahiers Léon-Provancher, no 1, avril 2010, 66 p.

La Rocque, Aurèle, « Un manuscrit inédit de l'abbé Provancher sur les Mollusques du Canada », Sterkiana, no 37, mars 1970, 33 p.

Marie-Victorin, « Sciences naturelles au Canada : l'étude des sciences naturelles, son développement chez les Canadiens français (suite et fin) », Revue canadienne, nouv. sér., vol. XX, no 5, novembre 1917, p. 339-358.

Rousseau, Jacques, et Bernard Boivin, « La contribution à la science de la Flore canadienne de Provancher », Le Naturaliste canadien, vol. 95, no 1, 1968, p. 1499-1530. 

 

BIBLIOGRAPHIE

Œuvres de Léon Provancher

Dupont, Émilien (pseud.), Essai sur les insectes et les maladies qui affectent le blé, Montréal, Lovell et Gibson, 1857, 38 p.

Flore canadienne ou Description de toutes les plantes des forêts, champs, jardins et eaux du Canada, Québec, Darveau, 1862, 842 p.

Le verger canadien ou Culture raisonnée des fruits qui peuvent réussir dans les vergers et les jardins du Canada, Québec, Darveau, 1862, 154 p.

Petite faune entomologique du Canada et particulièrement de la province de Québec, vol. 1 : Les Coléoptères, Québec, Darveau, 1877, 785 p.

Petite faune entomologique du Canada et particulièrement de la province de Québec, vol. 2 : Les Orthoptères, les Névroptères et les Hyménoptères, Québec, Darveau, 1883, 830 p.

De Québec à Jérusalem, Québec, Darveau, 1884, 724 p.

Petite faune entomologique du Canada et particulièrement de la province de Québec, vol. 3 : Cinquième ordre : les Hémiptères, Québec, Darveau, 1886, 354 p.

Additions et corrections au volume 2 de la Faune entomologique du Canada traitant des Hyménoptères, Québec, Darveau, 1889, 476 p. 

Une excursion aux climats tropicaux, Québec, J. A. Langlais, 1890, 360 p.

Les Mollusques de la province de Québec. Première partie : les Céphalopodes, Ptéropodes et Gastropodes, Québec, Atelier typographique C. Darveau, 1891, 154 p.

 

Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés

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  • Boite à insectes
  • Microscope de terrain
  • Loupe d'entomologue
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