ÉCONOMUSÉE : la transmission des métiers et savoir-faire francophones au Canada
par Simard, Cyril et Soucie, Anne
Le réseau ÉCONOMUSÉE® a pour mission de mettre en valeur et de perpétuer les métiers et savoir-faire inspirés des traditions. En alliant culture par la diffusion de métiers traditionnels, éducation par la transmission des savoir-faire et économie par le soutien d'entreprises artisanales, le réseau des ÉCONOMUSÉE agit au service de la diversité culturelle en région, du patrimoine vivant et du développement durable. Inspiré par l'oeuvre de Félix-Antoine Savard à la Papeterie Saint-Gilles, à Saint-Joseph-de-la-Rive dans Charlevoix, ce réseau, créé dix ans après sa mort, compte aujourd'hui une cinquantaine de membres au Québec et dans les provinces atlantiques, en plus de prendre de l'expansion au Canada et à l'international.
Félix-Antoine Savard, poète et entrepreneur culturel
Félix-Antoine Savard a été un véritable entrepreneur culturel à une époque où le terme n'existait pas encore. Après l'écriture de Menaud maître-draveur en 1937, la fondation des Archives de folklore de l'Université Laval en 1944 et de longues enquêtes folkloriques avec Luc Lacourcière au début des années 1950 – époque où il est doyen de la Faculté des lettres de l'Université Laval –, Félix-Antoine Savard publie Le Barachois en 1959, une œuvre poétique qui est un véritable hymne à l'Acadie où « les pêcheurs, les charpentiers de marine, les remmailleurs de filets, les pêcheurs de coques, les tourbeux et les raconteurs NOTE 1» occupent un rôle central.
« Le vrai, le beau et le bon, d'où qu'ils viennent, sont le trésor de l'humanité.
Ces égards fraternels envers les autres n'empêcheront jamais d'être soi-même et de cultiver sa différence.
Mais si, comme le veut la nature, nous avons à cœur de produire un art qui soit expressif de ce que nous sommes, et de ce que nous faisons ici depuis trois siècles, il faudrait, je le répète, nourrir l'esprit et le cœur des jeunes de la meilleure substance des biens de notre patrie. »
En 1964, Félix-Antoine Savard fonde la Papeterie Saint-Gilles, avec son ami Marc Donohue, pour honorer le verbe. Il incruste dans la pâte à papier les fleurs de son pays, comme il sème chez ses jeunes disciples la mission de transmettre métiers et savoir-faire. Il admire profondément la vaillance des gens de métier, il décide alors d'être parmi les leurs : un papetier. Dix ans plus tard, son successeur initie un vaste mouvement qui contribuera à la protection et à la transmission des métiers et savoir-faire du Québec et de l'Acadie qu'il chérissait tant, mais aussi d'ailleurs dans le monde.
Jusqu'au décès du poète en 1982, la Papeterie Saint-Gilles est supportée financièrement par son mécène. À l'entrée de la Papeterie on peut lire ces mots annonciateurs :
« Je voudrais, en particulier, bien préciser ce que nous entendons par Musée. C'est un grand mot qui a besoin d'être épousseté. Je voudrais bien définir ce que j'entends par un musée d'art populaire et ce que nous en voulons faire : un centre vivant et un foyer d'éducation » (Félix-Antoine Savard).
Ce vœu est exaucé.
Pour assurer la survie de l'entreprise, un concept appelé ÉCONOMUSÉE est mis de l'avant pour sauver la Papeterie et porter le flambeau de la passion de Félix-Antoine Savard pour l'art populaire. Elle devient, de 1984 à 1988 le véritable incubateur d'un nouveau genre d'entreprise, La notion d'entreprise-musée prend racine et inspire. En 1988 le premier ÉCONOMUSÉE du pays est créé, fruit d'une alliance entre économie et cultureNOTE 2.
Un concept novateur : l'économuséologie
Résultat d'une thèse de doctorat du fondateur du réseauNOTE 3, l'ÉCONOMUSÉE se définit ainsi : une entreprise artisanale ouverte au public et dotée d'équipements pédagogiques destinés à faire connaître l'artisan et son métier et promouvoir le tourisme culturel. Pour atteindre ses objectifs, l'ÉCONOMUSÉE présente à l'accueil le fondement culturel de l'entreprise, ouvre ses ateliers au public et est capable de documenter le métier à travers des collections et ouvrages traditionnels et contemporains. Une boutique complète l'ensemble et doit faire vivre l'ensemble du complexe.
L'expérience du Québec
Après quelques expériences pilotes, naît en 1992, dans le cadre du congrès ICOMOS tenu à Québec, la Fondation des économusées, se donnant comme objectif de développer un réseau d'ÉCONOMUSÉE au Québec et d'en préserver l'authenticité.
Aujourd'hui, le réseau du Québec comprend 35 entreprises, réparties dans 13 régions touristiques. Il génère un chiffre d'affaires de quelque 30 millions de dollars et reçoit environ 600 000 visiteurs annuellementNOTE 4.
En 2003, la publication d'un ouvrage intitulé Des métiers... de la tradition à la création fait le point sur l'expérience développée au sein du réseau des ÉCONOMUSÉE. 60 auteurs, provenant du milieu des affaires mais aussi des universitaires et des artisans de différentes disciplines et provenances, parlent de l'expérience dans un contexte plus large, entre diversité culturelle et globalisation. L'ouvrage s'articule autour de six thématiques qui résument bien les champs d'action de la SociétéNOTE 5:
- conserver mémoire et identité
- promouvoir métiers et savoir-faire
- célébrer culture et patrimoine
- concilier culture, économie et tourisme
- bâtir un modèle d'entrepreneurship culturel
- témoigner en faveur du patrimoine immatériel.
En 1996, la Société du Québec a déjà développé un réseau de 13 ÉCONOMUSÉE au Québec. À son congrès annuel tenu en mai 1996 à Saint-Jean de Terre-Neuve, la Société Nationale des Acadiens (SNA) vote à l'unanimité la résolution suivante, compte tenu du potentiel économique et touristique d'une telle infrastructure :
« Que la SNA entame des discussions avec la Fondation des Économusées du Québec, en vue d'étudier la possibilité d'établir, dans un contexte de collaboration et de partenariat, des projets pilotes en Acadie NOTE 6»
Un premier projet pilote d'ÉCONOMUSÉE en Acadie est lancé à Caraquet, au Nouveau-Brunswick. On transforme alors la Ferme ostréicole Dugas, une entreprise familiale qui, de père en fils, a conservé tradition et métiers précieusement. Ce nouvel ÉCONOMUSÉE de l'huître est inauguré le 18 mai 1997 sous l'initiative de la Société des ÉCONOMUSÉE du Québec, en collaboration avec des partenaires de première valeur tels que la SNA (Société nationale de l'Acadie), Patrimoine Canadien et Ressources Humaines, l'APECA (Agence de promotion économique du Canada Atlantique) et le bureau du Québec dans les provinces de l'Atlantique.
En 2001 naît la Société ÉCONOMUSÉE de l'Atlantique. Aujourd'hui, cette Société compte 17 entreprises réparties dans les quatre provinces de l'Atlantique, formant de la sorte une courtepointe bien représentative de ce vaste territoire. Un bulletin d'information sur le réseau est publié régulièrementNOTE 7.
Un réseau de transmission des connaissances en pleine croissance
Aujourd'hui, la Société du réseau ÉCONOMUSÉE, (SRÉ) avec sa nouvelle dénomination et une restructuration récente, regroupe l'ensemble des nouveaux partenaires. Après la Société de l'Ontario créée en 2005, qui elle aussi se développe sur la base d'un terreau culturel francophone, la SRÉ a signé en avril 2008 une entente pour l'implantation d'un réseau d'économusée dans 5 pays d'Europe du Nord, un projet financé en partie par l'union Européenne. La Norvège, l'Islande, l'Irlande du Nord, la République d'Irlande et les Îles Féroé sont ici concernées. Le 1er juillet 2009, lors d'une cérémonie officielle, était inauguré le premier ÉCONOMUSÉE européen à Aurland, près de Bergen en Norvège, en prévision de l'implantation d'une grappe de 12 nouveaux ÉCONOMUSÉE. Ce projet en développement est réalisé en collaboration avec la Chaire UNESCO en patrimoine culturel de l'Université Laval.
On le voit, le concept d'ÉCONOMUSÉE, dont l'héritage remonte aux racines historiques de l'ethnologie québécoise est ouvert et adaptable partout. Son application demande toutefois une expertise qualifiée, exige du temps, de la passion et le respect des identités culturelles.
Aujourd'hui, on reconnaît généralement le réseau ÉCONOMUSÉE pour sa capacité de développer l'esprit et la fierté d'appartenance des artisans et des collectivités régionales. Il permet généralement à L'artisan à l'œuvre de gagner sa vie avec le métier qui le passionne et de partager cette passion avec un public de plus en plus averti, à la recherche de la traçabilité du produit et du meilleur de la tradition. Dans un monde où la globalisation mène à l'uniformisation et à la banalisation, l'économuséologie contribue à la promotion du tourisme culturel responsable. La rencontre de l'objet, du geste et de la parole dans un ÉCONOMUSÉE est en quelque sorte le mariage entre le patrimoine matériel et immatériel tant souhaité par l'UNESCO dans ses récentes conventions sur la diversité culturelle.
Le concept a été cité comme l'une des trois meilleures expériences dans la promotion du tourisme culturel par monsieur Indrasen Vencatachellum, directeur de la section Arts, Artisanat et Design de l'UNESCO à Paris, lors de l'assemblée générale du World Crafts Council tenue en Grèce en 2004 :
« Les Artisans à l'œuvre : c'est un concept innovateur pour développer les liens entre l'artisanat et le tourisme culturel que celui des ÉCONOMUSÉE lancé en 1997 à Québec, au Canada. L'atelier de l'artisan est le point culminant de ce concept, entouré d'aires d'interprétation et de production. Ces espaces sont dotés de panneaux instructifs expliquant aux visiteurs de tous âges à la fois les techniques de fabrication et les étapes de production afin qu'ils puissent comparer les techniques traditionnelles avec une vision contemporaine. La vente des produits sur place assure l'indépendance financière des ÉCONOMUSÉE tout en permettant aux visiteurs d'obtenir à la fois une expérience et un produit uniques. Cette expérience est devenue si populaire auprès des touristes depuis l'année 2000, que des sociétés régionales ont été créées pour promouvoir le concept à l'extérieur du Québec et, progressivement, à l'extérieur du Canada, avec l'établissement de la Société internationale du réseau ÉCONOMUSÉE NOTE 8 ».
Une reconnaissance éloquente en faveur de l'économuséologie porteuse d'un renouveau de la tradition et d'une créativité responsable envers le futur.
Cyril Simard, président fondateur de la Société du réseau ÉCONOMUSÉE
En collaboration avec Anne Soucie, présidente de la Société ÉCONOMUSÉE de l'Atlantique
NOTES
1. H. Biron, « Mer et tourbières de la belle Acadie », Le Nouvelliste, 13 juillet 1963, cité dans Jean-Noël Samson, « F.-A. Savard poète », Lectures, nouv. sér., vol. XII, nos 6-7, février-mars 1966, p. 153.
2. Cyril Simard, Les papiers Saint-Gilles, héritage de Félix-Antoine Savard, Québec, Presses de l'Université Laval, 1988, 157 p.
3. Cyril Simard, L'économuséologie : essai d'ethnologie appliquée, thèse de doctorat, Université Laval, Québec, 1986, 449 f.
4. Cyril Simard, L'économuséologie : comment rentabiliser une entreprise culturelle, Montréal, Centre éducatif et culturel, 1989, 170 p.
5. Voir le site de la Société ÉCONOMUSÉE du Québec [en ligne], http://www.economusee.com; et Cyril Simard (dir.), Des métiers... de la tradition à la création : anthologie en faveur d'un patrimoine qui gagne sa vie, Sainte-Foy (Qc), Éditions GID, 2003, 416 p.
6. Achives de la Société ÉCONOMUSÉE de l'Atlantique.
7. Voir Société ÉCONOMUSÉE de l'Atlantique, Les Artisans à l'œuvre [en ligne], http://www.lartisanaloeuvre.ca.
8. « Crafts and Tourism », intervention de M. Indrasen Vencatachellum (UNESCO) à l'assemblée générale du World Crafts Council tenue à Metsovo (Grèce), le 3 juin 2004 (traduit de l'anglais).
Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés
Photos
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