Le Mont-Royal

Mont-Royal: importance de l’engagement citoyen

par Guilbault, Sylvie

Thé lors de la fête champêtre marquant le 125e anniversaire du parc du Mont-Royal, 2001

Le mont Royal est directement associé à l'histoire et à l'identité de Montréal. Dominant la ville, « la montagne », comme l'appellent affectueusement les Montréalais, reste toujours fidèle à ce qu'on attend d'elle : point de repère, haut lieu symbolique et patrimonial où se côtoient nature, culture et histoire.  Cette petite colline montérégienne de 232 mètres de dénivellation, que Jacques Cartier a baptisé en 1535 en l'honneur du roi de France et sur laquelle le sieur de Maisonneuve planta une croix en 1643, occupe depuis longtemps une place prépondérante dans le cœur des Montréalais.  L'engagement indéfectible qu'elle suscite de leur part depuis 150 ans pour la protéger donne la mesure de son pouvoir identitaire. Cette action citoyenne témoigne aussi du rôle clé que joue parfois la population dans la préservation et la mise en valeur du patrimoine collectif.

 

Article available in English : Mount Royal: The Importance of Civic Engagement

La création du parc du Mont-Royal

De 1850 à aujourd'hui, la montagne a été perçue de différentes façons et l'attention qu'on lui a portée s'est modifiée avec l'évolution de la société.

Vue de Montreéal depuis l'île Sainte-Hélène, 1830

Au début du XIXe siècle, confrontés à l'essor de la ville et aux problèmes de pollution, d'hygiène et de salubrité qui en découlent, les Montréalais commencent à voir la montagne comme un antidote au « poison urbain ». Les citadins, dont le nombre augmente de façon spectaculaire entre 1810 et 1850, la fréquentent de plus en plus pour se promener et prendre des repas sur l'herbe, bénéficiant de la tolérance des propriétaires de vergers. Les cimetières Mont-Royal et Notre-Dame-des-Neiges, établis respectivement sur la montagne en 1852 et 1854, sont également utilisés comme des lieux de promenade et de détente.

C'est dans les années 1860, durant un hiver particulièrement rigoureux, que M. Lamothe, un des propriétaires de la montagne, décide de couper tous les arbres sur son terrain pour en faire du bois de chauffage. Des citoyens scandalisés par ce geste et inquiets du sort éventuel des autres boisés du mont Royal entreprennent une campagne d'assemblées publiques, de pétitions et de représentations pour demander à la Ville de créer un parc. Sous la pression des citoyens, la Ville y consent et verse entre 1869 et 1875 une somme de 1 000 000 $ - très considérable à l'époque - pour acquérir un certain nombre de propriétés privées. Cette somme servira également à financer la planification et la conception du parc du Mont-Royal, l'un des premiers grands parcs urbains au Canada. C'est Frederick Law Olmsted, architecte paysagiste américain de renom, qui sera alors choisi pour concevoir et diriger les travaux d'aménagement.

 

A la défense du parc et de la montagne

L'inauguration du parc du Mont-Royal en 1876 n'a pas tari l'engagement des citoyens envers « leur montagne », bien au contraire. Alors que la ville se développe peu à peu autour du mont Royal, les citoyens demeurent vigilants quant à son sort.  Plusieurs campagnes de revendication ou de sensibilisation, menées entre 1895 et aujourd'hui, illustrent différentes phases de mobilisation citoyenne.  Elles sont d'abord centrées sur le parc pour s'étendre au début des années 1960 à l'ensemble de la montagne.

Groupe de raquetteurs, mont Royal, Montre?al, QC, vers 1901

En 1895, sous le nom de la Park Protective Society, 20 000 femmes signent une pétition pour empêcher la construction d'une ligne de tramway à travers la montagne, le long des cimetières (un projet qui sera cependant réalisé 25 ans plus tard).  Ce regroupement donnera naissance à la Montreal Parks and Playgrounds Association qui, pendant près de 60 ans, encourage la protection et la création de parcs à Montréal.  Cette association se prononce entre autres contre le développement de toute forme de loisir commercialisé dans le parc ou contre la fermeture du funiculaire qui empêcherait de nombreux Montréalais d'accéder au sommet. Appuyant les Gardiens de la montagne, un autre regroupement de citoyens formé en 1934, l'Association mène également une lutte acharnée contre l'introduction de l'automobile dans le parc.

En 1959, 28 associations, dont la Montréal Parks and Playgrounds Association, s'opposent à un projet de construction de 16 tours d'habitation sur un terrain appartenant au cimetière Mont-Royal.  Suite à cette mobilisation, le projet est abandonné et le terrain est acheté par la Ville de Montréal pour l'annexer au parc. L'acquisition de terrains à des fins de parc urbain semble donc l'approche choisie jusqu'à la fin des années 1950 pour protéger la montagne. 

Comptant de nombreuses propriétés privées et de grandes institutions telles des hôpitaux, des universités, des cimetières et de nombreux lieux de cultes et d'enseignement, la montagne devient un territoire beaucoup plus complexe à protéger.  L'action des citoyens portera donc de plus en plus sur le contrôle du développement par l'application de règlements et de critères d'aménagement. En 1960, le Citizens' Planning Committee for Mount Royal amorce une réflexion plus large sur l'ensemble du territoire de la montagne. Il fait alors pression auprès des autorités municipales et provinciales pour agrandir le parc et empêcher toute nouvelle construction sur ses abords.  Il demande également que soit interdite la construction en hauteur de bâtiments dans la zone urbaine adjacente au parc et qu'une instance soit créée pour mener à bien ces mesures et veiller à la surveillance et à l'application des règlements. Le Comité suggère alors que les trois municipalités sises sur le mont Royal, soit Montréal, Outremont et Westmount, s'engagent dans cette démarche. En 1975, cette action conduit à une modification de la Charte de la Ville pour que s'étende le zonage du parc aux institutions attenantes : l'Hôpital Royal Victoria, les universités McGill et de Montréal, les cimetières Notre-Dame-des-Neiges et Mont-Royal.

 

Un mouvement citoyen toujours plus affirmé

Cette vision globale de la montagne sera encore mieux définie et défendue au milieu des années 1980, au moment où sont annoncés des projets d'envergure tels que l'érection d'une tour de communication couplée d'infrastructures touristiques dans le parc du Mont-Royal, ainsi que l'implantation d'un centre de ski alpin sur le flanc nord de la montagne.  Les citoyens et les organismes en patrimoine comme Héritage Montréal et Sauvons Montréal dénoncent ces projets avec véhémence.  Dans cette foulée, un nouvel organisme voué à la protection de la montagne voit le jour au printemps 1986 : Les amis de la montagne. Cet organisme puise alors son expertise, sa force et son influence dans le regroupement et l'engagement d'un grand nombre d'associations et de citoyens préoccupés par la protection du mont Royal.

Corvée du Mont-Royal

Dans un manifeste intitulé « Le mont Royal, fierté des Montréalais », Les amis de la montagne réclament l'entretien du parc - alors dans un état lamentable - et la protection du reste du territoire de la montagne.  L'organisme y recommande le développement d'un plan directeur pour l'ensemble du mont Royal, l'agrandissement du parc du Mont-Royal et la création d'une structure de gestion qui sera chargée de coordonner les projets de développement et assurera une représentativité des citoyens.

Les amis de la montagne, qui se dédient exclusivement à la protection du mont Royal en favorisant l'engagement de la communauté, perpétuent la vision et le travail de ses prédécesseurs.  De plus, la sensibilisation et l'engagement communautaire continuent de s'exprimer à travers un vaste réseau d'organismes qui se préoccupent d'environnement, de patrimoine, d'histoire, de culture, d'urbanisme et d'architecture de paysage.  Chacun dans leur milieu, ces organismes poursuivent un travail de sensibilisation, de recherche, de connaissance et de mobilisation en faveur de la montagne.

Le regroupement de toutes ces énergies vise à obtenir des instances publiques une reconnaissance et des budgets appropriés pour assurer un entretien adéquat, ainsi que la protection et la mise en valeur de la montagne.  En 1987, la Ville de Montréal désigne ainsi une partie de la montagne « site du patrimoine », puis, en 2003, le gouvernement du Québec décrétera le mont Royal « arrondissement historique et naturel », une première au Québec.  De plus, depuis le début des années 1990, les projets d'intervention sur le mont Royal sont soumis à la vision et aux critères établis dans le « Plan de protection et de mise en valeur du Mont-Royal » qui a été adopté par la Ville de Montréal suite à d'importantes consultations publiques.

Départ de la course 2009 des Tuques bleues

Avec la naissance des Amis de la montagne, l'engagement des citoyens prend aussi une nouvelle forme.  En plus de s'assurer que les pouvoirs publics s'acquittent de leurs responsabilités, Les amis permettent aux citoyens, aux fondations à caractère philanthropique et aux corporations privées, de prendre une part active dans la réalisation des objectifs de mise en valeur et de protection du mont Royal. Les grandes corvées de nettoyage, les nombreuses plantations d'arbres, les projets de recherche sur la faune et la flore ou les patrouilles de conservation ont permis à ce jour à des milliers de bénévoles et de donateurs de contribuer à l'amélioration et à la mise en valeur de la montagne.  De généreux dons et commandites permettent aussi l'entretien et la restauration de bâtiments et d'infrastructures dans le parc du Mont-Royal ou la tenue d'événements, comme la « Célébration des Tuques bleues » qui rallie chaque année près de 800 personnes pour une montée en raquettes digne d'une tradition plus que centenaire sur la montagne.

 

En conclusion

Manifestation lors de la fête champêtre soulignant le 125e anniversaire du parc du Mont-Royal, 2001

De tous temps, les citoyens ont joué un rôle majeur et significatif dans la protection du mont Royal, soit en exerçant des pressions sur les instances publiques, soit en s'impliquant directement dans son aménagement et sa mise en valeur.  Cet engagement citoyen qui perdure depuis plus de 150 ans est remarquable et peut-être unique en Amérique du Nord.  La richesse et l'importance du mont Royal ne sont plus à démontrer.  Toutefois, même à notre époque où les citoyens sont préoccupés par l'environnement et par leur qualité de vie en milieu urbain, rien n'est acquis.  Car malgré des statuts de protection maintenant en vigueur, des promoteurs immobiliers continuent de vouloir s'approprier une partie de la montagne. Certains hôpitaux, cimetières ou universités, trop à l'étroit sur leurs propriétés, demandent à agrandir leurs infrastructures. Bien que les instances municipales et gouvernementales soient aujourd'hui les gardiennes de ce patrimoine collectif, l'histoire nous montre à quel point la vigilance et l'implication des citoyens permettent à cette petite colline, riche d'histoire, de nature et de culture, de demeurer la fierté des Montréalais de toutes  générations. 

 

Sylvie Guilbault
Directrice générale, Les amis de la montagne

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Bumbaru, Dinu, et Sylvie Guilbault, « Royal et populaire », dans « Dossier : Le mont Royal, nature urbaine », Continuité, no 90, automne 2001, p. 31-33.

Foisy, Oswald, et Peter Jacobs, Les quatre saisons du mont Royal, Montréal, Éditions du Méridien, 2000, 140 p.

Zinger, Nathalie, Le mont Royal, paysage et phénomène (de 1850 à 1990), mémoire de maîtrise, Université de Montréal, Montréal, 1990, 167 f.

 

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