Parc du Mont-Royal, un précieux patrimoine naturel et culturel
par Les amis de la montagne
Entre les Laurentides et les Appalaches, la plaine du Saint-Laurent est ponctuée de collines s'étalant d'est en ouest. Ces collines, appelées Montérégiennes, proviennent de montées de magma en fusion qui se sont produites il y a une centaine de millions d'années. L'une d'elles, le mont Royal, s'élève sur la plus grande île de l'archipel de Montréal, au cœur même de la métropole du Québec. Ce parc urbain exceptionnel est l'objet de mesures de protection et de mise en valeur également exceptionnelles. Explorer les multiples richesses et les divers aspects du patrimoine de cette montagne urbaine, c'est renouer avec l'histoire naturelle et humaine de Montréal. C'est aussi découvrir le charme des paysages et des aménagements qui témoignent de la continuelle recherche d'équilibre entre la nature et la culture.
Article available in English : Mount Royal Park, a Precious Natural and Cultural Heritage
Un lieu riche d'histoire
En 1535, lorsque Jacques Cartier aborde l'île de Montréal, des Amérindiens habitent déjà ces lieux depuis des siècles. Ce sont les Iroquoiens du village nommé Hochelaga que l'explorateur français rencontre alors qui le guideront jusqu'en haut de la montagne qui domine l'île. Depuis le sommet, Jacques Cartier est impressionné par la vaste plaine boisée, le fleuve et les rivières qui l'entourent et il décide de baptiser cette montagne le « mont Royal ». Certes, depuis la visite de Cartier, l'environnement a bien changé sur l'île de Montréal, néanmoins le mont Royal demeure un endroit privilégié pour prendre contact avec la nature.
Un important héritage culturel s'ajoute à l'héritage naturel qui a été préservé sur la montagne, car le mont Royal porte l'empreinte successive des collectivités qui se sont établies tout autour. Divers chemins suivent le contour rocheux et abrupt de la montagne où, à travers une forêt encore dense et diversifiée, les promeneurs découvrent plusieurs institutions prestigieuses et de multiples résidences privées construites sur ses flancs et à ses pieds. D'autres chemins traversent les cols et les vallons du mont et dévoilent de riches paysages tantôt naturels, tantôt urbains. Deux parcs ont été créés afin de préserver cet environnement naturel exceptionnel, et deux grands cimetières y ont été aménagés.
La genèse de la montagne
Pendant des centaines de millions d'années, une mer salée recouvre la région. Les débris et les particules en suspension se déposent au fond de la mer et se sédimentent. Une épaisse couche de roche calcaire se forme ainsi sous la pression exercée par la masse d'eau et l'accumulation de résidus solides. Puis, depuis le centre de la terre, du magma en fusion s'introduit dans cette couche superficielle de l'écorce terrestre, sans faire éruption. Ce magma se refroidit et se stabilise au travers de la roche sédimentaire, il se durcit pour former une pierre très résistante nommée gabbro. Sur une période de plusieurs millions d'années, les forces de la nature sculptent le territoire. Des mouvements et des basculements de la croûte terrestre font émerger des amas de gabbro hors de la croûte de roche sédimentaire. La mer se retire. L'action du gel et du dégel, le vent qui agit comme un jet de sable, le passage des glaciers qui rabote le sol, tout cela érode la roche sédimentaire qui est plus fragile que le gabbro. Finalement, les Montérégiennes que nous connaissons aujourd'hui, incluant le mont Royal, forment des saillis au milieu de la plaine du Saint-Laurent. Ces masses rocheuses sont prêtes à recevoir la vie.
Un habitat naturel exceptionnel
Quelques lichens colonisent d'abord la roche nue. Ils ouvrent la voie à une longue succession de formes de vie : mousses, plantes herbacées, petites plantes ligneuses, arbustes et arbres qui, à leur tour, permettent l'arrivée de la vie animale.
Sur le mont Royal, chaque être trouve la place qui lui convient le mieux. Le chêne rouge prend racine dans les hauteurs, là où le sol est plus sec en raison du drainage rapide. Cette chênaie, avec ses troncs minés et ses grosses branches cassées, témoigne des conditions climatiques difficiles de ce milieu de vie. Les fruits des chênes nourrissent des animaux qui trouvent aussi abri dans ses creux. Dans les parois abruptes et rocheuses de la montagne, les racines du bouleau blanc se taillent une place. Dans les parties basses du mont Royal, ainsi que dans les petites dépressions où le sol est plus profond et riche en éléments nutritifs, l'érable à sucre vient se loger. Dans certaines dépressions où l'eau s'accumule, le marécage accueille des salamandres et d'autres espèces animales et végétales bien adaptées aux milieux humides. Une nature riche et diversifiée trouve ainsi progressivement refuge sur l'ensemble de la montagne.
Aujourd'hui, les forêts du mont Royal abritent plus de 250 espèces de plantes vasculaires dont certaines plantes menacées (Podophylle pelté) ou vulnérables (Trille blanc, Sanguinaire du Canada), de même qu'une soixantaine d'espèces d'arbres, 180 espèces d'oiseaux, près de 20 espèces de mammifères, deux espèces d'amphibiens et deux espèces de reptiles, sans compter des milliers d'espèces d'insectes.
Cette diversité végétale et animale contraste avec celle de la ville de Montréal, aux immenses étendues de briques, de ciment et d'asphaltes. Aujourd'hui, même perturbée par les activités humaines, la montagne demeure un lieu remarquable pour découvrir les êtres vivants de toutes sortes qui y vivent depuis des millénaires.
L'urbanisation du mont Royal
Jusqu'à la révolution industrielle, la montagne située à bonne distance du centre-ville de Montréal demeure un lieu sauvage. La ville se développe d'abord à proximité du fleuve, puis, au XIXe siècle, elle connaît une forte croissance démographique culminant entre 1850 et 1880, alors que la population de Montréal triple pour atteindre 300 000 habitants. Le paysage jusque là dominé par les clochers et les vergers cède la place aux manufactures et aux industries. La classe ouvrière vit entassée près des usines et des cheminées fumantes. La bourgeoisie, souvent propriétaire de ces équipements de production, s'installe alors sur les versants du mont Royal, dans le Mille Carré, avec vue sur le fleuve, au loin. L'établissement des cimetières Mont-Royal et Notre-Dame-des-Neiges, ainsi que la construction de l'hôpital l'Hôtel-Dieu, de l'Université McGill et du Grand Séminaire de Montréal témoignent de l'attrait qu'exerce à cette époque la montagne auprès des institutions de la santé, du savoir et du sacré.
Le parc dessiné par Olmsted
À la fin de cette période de forte croissance économique et démographique, la Ville de Montréal acquiert une part importante de la plus haute colline de l'agglomération et elle y crée un parc public au bénéfice de toute la population. Elle en confie la conception à l'architecte paysagiste Frederick Law Olmsted. Le premier plan du parc sera réalisé entre 1874 et 1881. Olmsted, qui observe l'exode rural et l'attrait grandissant qu'exerce la vie urbaine sur les habitants de la campagne, trouve cependant que les villes manquent de paysages naturels. Pour Olmsted, ces paysages constituent une composante fondamentale du bien-être spirituel, mental et physique des citadins. Il planifie donc le parc du Mont-Royal de façon à souligner les charmes poétiques des paysages naturels. Aux yeux d'Olmsted, le parc public renforcera également la vie démocratique car tous pourront s'y côtoyer indépendamment des classes sociales.
Dans son plan initial, l'architecte identifie et décrit huit secteurs topographiques et conçoit un réseau de chemins et de sentiers permettant aux visiteurs d'expérimenter cette succession de paysages. Il compare l'ascension de la montagne à la lecture d'un poème, où chaque secteur agira comme la ligne d'un texte pour former un cheminement cohérent.
Le parc du Mont-Royal tel qu'il a été réellement aménagé diffère cependant de celui dessiné par Olmsted. Néanmoins, il demeure un endroit privilégié pour vivre le type d'expérience souhaité par son concepteur. La nature et les paysages invitent à la contemplation et à la détente, véritable contraste avec le milieu urbain dominé par le rythme trépident du travail, de la consommation, des transports et de la construction.
Un grand parc urbain
En 1935, la population de l'île de Montréal dépasse le million d'habitants. Ce début de siècle est marqué par des innovations qui favorisent l'expansion de la ville en hauteur et en étendue : ascenseur, automobile et tramway. Un tunnel est même creusé sous la montagne où passent encore aujourd'hui les trains qui desservent les banlieues. Les cheminées d'usine sont progressivement remplacées par des édifices en hauteur érigés pour accroître l'espace à bureau nécessaire au nouveau monde du travail, celui des services. L'édifice de la Banque Royale sera le premier à dépasser les tours de la basilique Notre-Dame. Peu de temps après, l'édifice de la compagnie d'assurances Sun Life dominera le paysage urbain avec ses 26 étages.
Peu à peu, la ville encercle presque complètement la montagne; c'est alors que le parc du Mont-Royal devient véritablement urbain. On y érige à cette époque le monument consacré à sir George Étienne Cartier et la célèbre croix, on construit également le Chalet du Mont-Royal et on aménage le lac aux Castors. Ailleurs sur la montagne, le sommet de la colline de Westmount devient le parc Summit, puis, à la même époque, l'hôpital Royal Victoria, l'Oratoire Saint-Joseph et l'Université de Montréal se construisent tour à tour aux pieds de la montagne.
Un parc moderne
Les années 1950 à 1960 amènent de nouvelles transformations. La population de l'île atteint presque 2 millions de citadins. Sur la montagne, plusieurs antennes sont érigées. On construit le pavillon de service du lac aux Castors. L'automobile fait aussi son apparition dans le parc du Mont-Royal, malgré les protestations, grâce à la construction de la voie Camillien-Houde et de stationnements. On aménage également le belvédère situé sur le flanc nord-est de la montagne. C'est à cette période que le mont Royal devient entièrement ceinturé par le tissu urbain et que de hautes tours d'habitations s'implantent en périphérie. Au cours des années 1970, la population de l'île augmente à peine, notamment en raison de l'exode vers les banlieues,mais le paysage urbain continue de se transformer. Il comporte maintenant de nombreux gratte-ciel dont la hauteur est limitée par un règlement municipal, afin qu'aucun d'entre eux ne dépasse le sommet du mont Royal. Dans les différents quartiers de la ville, on cherche également à préserver les points de vue sur la montagne.
L'expansion des cimetières établis dans le parc, ainsi que des universités et des autres institutions qui se sont établies sur ses flancs se poursuit. Chaque nouveau projet soulève un débat sur la conservation et la mise en valeur du patrimoine naturel et historique de la montagne. Plus que jamais, le mont Royal est un îlot dans l'île, un milieu distinct à protéger.
Un décret gouvernemental et un plan de protection
En 2002, face aux pressions grandissantes qui s'exercent sur l'intégrité du territoire naturel de la montagne et du parc du Mont-Royal, le regroupement citoyen Les amis de la montagne, créé en 1986, organise un premier sommet sur cet important dossier. Le sommet attire 200 personnes venues discuter du territoire à protéger, du statut nécessaire pour atteindre les objectifs de protection et de mise en valeur souhaités, de même que de la structure de gestion la plus appropriée à mettre en place. Il permet également l'adoption de la Charte du Mont-Royal qui reconnaît, entre autres, qu'« à titre individuel et collectif, nous sommes tous gardiens du patrimoine naturel, paysager, architectural ou historique du mont Royal dans notre propre intérêt comme au nom de celui des générations futures ».
Les participants à ce sommet tirent les conclusions suivantes : le territoire visé doit comprendre les trois sommets de la montagne; une attention spéciale doit être portée au noyau vert qui englobe principalement le parc du Mont-Royal et les deux grands cimetières ; ce territoire doit être protégé par une loi provinciale mais il serait préférable que sa gestion soit déléguée à la Ville de Montréal ; enfin, un mécanisme de concertation formel et permanent doit être mis en place pour favoriser la participation des citoyens et assurer une vision d'ensemble du développement de ce territoire de grande valeur. Ces conclusions seront entérinées lors du Sommet de Montréal tenu en juin 2002, événement charnière dans l'évolution récente du mont Royal.
Deux ans plus tard, soit le 11 mars 2005, le gouvernement du Québec adopte le décret créant officiellement l'arrondissement historique et naturel du Mont-Royal, un statut jusqu'ici unique qui vise à assurer le développement harmonieux de cet héritage naturel et culturel, à favoriser sa mise en valeur et la conservation de ses éléments distinctifs. A la même date, la Ville de Montréal met sur pied la Table de concertation du Mont-Royal qui regroupe les grands propriétaires institutionnels de la montagne, des associations de protection du patrimoine, des élus et des fonctionnaires municipaux. Les quelque 60 personnes réunies autour de cette Table ont pour mandat de développer une vision commune pour la protection et la mise en valeur de la montagne, notamment par la mise à jour du plan directeur du mont Royal (datant de 1992). Au terme de quatre ans de travaux et d'échanges, le nouveau Plan de protection et de mise en valeur du Mont-Royal est adopté par la Ville de Montréal en avril 2009. Ce document devient ainsi la référence pour tous ceux qui auront à intervenir sur le territoire de l'arrondissement historique et naturel du Mont-Royal.
Regard vers le futur
L'adoption de ce plan de protection et de mise en valeur du mont Royal marque une étape importante dans l'histoire de la montagne. Il dessine un projet qui semble faire consensus. Cependant, sa pertinence et son efficacité dépendront de l'engagement des élus municipaux et gouvernementaux qui ont la responsabilité de veiller à son application.
La protection et la mise en valeur du riche patrimoine naturel et culturel du mont Royal exige que des actions soient menées de façon continue pour mieux connaître, entretenir et améliorer ce patrimoine. Il faut que des budgets, des professionnels dédiés et des structures de consultation et de concertation soient maintenus et développés afin que la protection et la mise en valeur de la montagne prennent tout leur sens. Cela reste un défi à relever.
Les Amis de la montagne
En collaboration avec Martin Fournier, coordonnateur de l'Encyclopédie du patrimoine
culturel de l'Amérique française
BIBLIOGRAPHIE
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Ville de Montréal, L'eau, une source indispensable à la vie, Montréal, Ville de Montréal, avril 1999.
Documents complémentairesCertains documents complémentaires nécessitent un plugiciel pour être consultés
Vidéo
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Le Mont Royal (Film muet) Ce film présente diverses scènes d’activités récréatives captées entre 1901 et 2000 au parc du Mont Royal, à Montréal. On y voit des glisseurs dévaler les pentes et le funiculaire qui conduit au sommet au début du XXe siècle, des activités équestres dans les années 1920, des skieurs et des promeneurs en traineau dans les années 1940-50, des patineurs à la fin des années 1960, ainsi que la fête de la Saint-Jean Baptiste qui s’y est déroulée en 1975. On assiste enfin aux fameux rassemblements du dimanche dits « tams tams » de Montréal, populaires depuis la fin des années 1970.
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