Fresques murales de l'arrondissement de la Cité à Québec
par Cousson, Claire
Les fresques murales de Québec, qui fleurissent sur les murs de la capitale depuis une dizaine d’années, sont devenues une véritable attraction touristique et un élément fort du patrimoine urbain. Ces fresques illustrent l’histoire de la ville et de ses habitants et permettent aux visiteurs soit de découvrir, soit de se remémorer un fragment du passé. Ce patrimoine encore en construction change le visage de Québec, interpelle le passant et remplit de couleurs et d’histoire des lieux urbains auparavant anonymes.
Article available in English : Fresco Wall Art in the Quebec City Borough of La Cité
Un rapide historique de la fresque murale comme pratique artistique en milieu urbain
La réalisation des fresques de Québec s’inscrit dans un phénomène de pratique artistique qui se développe intensément ces dernières années, celui de la fresque murale. Les origines de la murale comme forme d’art urbain sont attribuées au mouvement muraliste mexicain de la post-révolution, durant les années 1920 (NOTE 1). À cette époque, la préoccupation était de répondre par l’image aux nouvelles conditions physiques, sociales, politiques, technologiques et artistiques de la ville contemporaine. En Amérique du Nord comme en Europe, cette pratique artistique se répand au cours du XXe siècle et revêt des formes multiples, liées aux différentes réalités urbaines où elle se développe, plutôt qu’aux tendances du monde de l’art. Selon Suzel Brunel : « l’œuvre est conçue dans la ville pour la ville, en rapport avec l’environnement physique et social » (NOTE 2). Elle répond également à des fonctions variées, que ce soit requalification urbaine, revitalisation de la ville, support à la création artistique, réinsertion sociale, propagande ou encore outil pédagogique (NOTE 3). Au Canada et plus encore au Québec, la murale urbaine rencontre depuis quelques années un vif succès et la fresque historique est un des genres privilégiés de ces interventions artistiques.
Les fresques murales à Québec
À Québec, la pratique de la peinture murale est un phénomène présent depuis plus de dix ans maintenant, principalement sous la forme de fresques historiques, puisqu’il y a jusqu’à ce jour onze fresques de ce type qui ornent les murs de la capitale. Six d’entre elles sont concentrées dans l’arrondissement de La Cité et trois spécifiquement dans le quartier du Vieux-Québec qui constitue la partie la plus ancienne de la ville. Ces six peintures murales sont le fruit d’une commande institutionnelle liée aux célébrations du 400e anniversaire de la ville de Québec, instiguée par l’organisme chargé de l’aménagement, de la mise en valeur et de la promotion de la capitale du Québec : la Commission de la Capitale Nationale. Réalisées entre 1999 et 2008, ce sont des œuvres récentes, mais qui font déjà partie intégrante du patrimoine artistique et culturel de la ville. Par leur présence, ces fresques changent le visage de Québec en redonnant vie et attrait à des murs vétustes et défraichis; elles participent aussi à mieux faire connaître ce type d’art public qu’est la peinture murale.
La Fresque des Québécois
La première de ces fresques, réalisée en 1999, est située aux abords immédiats de la Place Royale, sur le mur de la maison Soumande, rue Notre-Dame. Il s’agit de la « Fresque des Québécois », une œuvre murale de 420 m² en trompe-l’œil conçue et réalisée par CitéCréation, un collectif d’artistes lyonnais spécialisé dans la peinture murale, associée aux artistes québécois Hélène Fleury, Marie-Chantal Lachance et Pierre Laforest. La « Fresque des Québécois » est une œuvre qui évoque l’histoire de la ville de Québec par la représentation de personnages fondateurs ou marquants de cette histoire, comme Samuel de Champlain, Marie Guyart de l’Incarnation, Lord Dufferin ou encore Félix Leclerc. Elle intègre également des spécificités architecturales, géographiques et culturelles de la capitale, comme les maisons anciennes de Place-Royale, les escaliers reliant haute-ville et basse-ville, les fortifications qui ceinturent le Vieux-Québec, les armoiries de Québec ou encore le Bonhomme Carnaval. Enfin, elle rappelle les différentes communautés culturelles qui ont participé et participent toujours à la vie de la capitale : Amérindiens, colons français et britanniques, immigrants irlandais et, bien sûr, les Québécois d’aujourd’hui.
Les Fresques des Piliers
Ces fresques sont situées sur les piliers de l’autoroute Dufferin-Montmorency et jouxtent le boulevard Charest Est, dans le quartier Saint-Roch. Elles ont été réalisées entre 2000 et 2002 à l’instigation d’Hélène Fleury, artiste québécoise ayant collaboré à la « Fresque des Québécois ». Il s’agit des seules fresques de Québec à ne pas représenter l’histoire de la ville mais plutôt des scènes imaginaires. Parmi celles-ci, la fresque « La Cathédrale » représente l’intérieur et l’extérieur d’une cathédrale sur chacune des faces du pilier, et est inspirée de la Sainte Chapelle à Paris. La fresque « Contes chevaleresques » nous amène dans l’univers du conte avec princesse, chevalier et magicien, tandis que « L’Horloge » illustre les mécanismes et rouages de cet objet. Enfin « Hommage aux cirques québécois » introduit les observateurs au monde du cirque et de ses acteurs, jongleurs, clowns et acrobates.
La Fresque du Petit-Champlain
Réalisée en 2001 par MuraleCréation, une société canadienne fondée en juin 2000 par l’association entre les muralistes lyonnais de CitéCréation et les peintres québécois de l’atelier Sautozieux Création, la « Fresque du Petit-Champlain » prend place au 102, rue du Petit-Champlain, à l’extrémité ouest du quartier historique de la basse-ville, non loin de Place-Royale. Elle illustre les grandes étapes de la vie du Cap-Blanc, quartier populaire et portuaire de Québec situé sur la mince bande de terre entre le Cap Diamant et le fleuve St-Laurent. La fresque évoque les activités de pêche et de commerce maritime qui animaient autrefois ce secteur de la ville, ainsi que des habitants et visiteurs historiques, ou encore des personnages fictifs. On y voit par exemple le Capitaine Bernier, navigateur québécois envoyé par le Roi d’Angleterre pour explorer le Pôle Nord, ou Lord Nelson, officier britannique tombé amoureux d’une Québécoise et qui fut ramené de force sur son bateau par les membres de son équipage, ou encore le réparateur de voiles Gustave Guay. Une femme de marin inquiète, qui attend le retour de son mari est également représentée. Enfin, des événements majeurs de l’histoire du quartier sont aussi évoqués, comme l’incendie de 1682, les bombardements de 1759, les éboulements de 1889 et d’autres sinistres qui ont marqué le secteur du Cap-Blanc et du Petit-Champlain au fil des ans.
La Fresque de l’Hôtel-Dieu de Québec
Datant de 2003 et exécutée également par MuraleCréation, cette fresque de 420 m² est peinte sur les murs extérieurs du pavillon de l’enseignement de l’Hôtel-Dieu de Québec, au coin de la rue Charlevoix et de la côte du Palais. Elle évoque les événements les plus significatifs de l’histoire du plus ancien hôpital d’Amérique du Nord, l’Hôtel-Dieu de Québec, et retrace la pratique de la médecine à Québec de 1637 à nos jours. Divisée en cinq tableaux historiques illustrant les différentes périodes d’existence de l’hôpital, « 1639-1825, un hôpital des corps et des âmes », « 1825-1982, un hôpital en gestation », « 1892-1930, la naissance de l’hôpital moderne », « 1930-1960, l’hôpital se spécialise », « 1960-…, l’hôpital d’aujourd’hui », cette fresque s’emploie à montrer l’évolution des pratiquants, des techniques et des bâtiments pendant près de 400 ans d’histoire.
La Fresque de la bibliothèque Gabrielle-Roy
Cette fresque a été réalisée en 2003, toujours par MuraleCréation, pour souligner les 20 ans de la bibliothèque Gabrielle-Roy. D’une dimension de 600 m² et située sur le mur arrière de la bibliothèque donnant sur la rue du Roi, l’œuvre relate les faits marquants de la littérature et de l’histoire des bibliothèques publiques de la ville de Québec du XIXe et du XXe siècle. Son contenu est en étroite relation avec l’environnement culturel, architectural et humain québécois puisqu’il prend appui sur vingt citations tirées d’œuvres littéraires d’hier et d’aujourd’hui décrivant la ville de Québec au fil des ans. Se côtoient ainsi les phrases d’auteurs aussi variés que Gilles Vigneault, Charles Trenet, Pierre Morency, Jean-Charles Harvey, Georgette Lacroix, Rudyard Kipling, ou encore Adolphe-Basile Routhier.
La Fresque BMO de la capitale nationale du Québec
Inaugurée en octobre 2008 et conçue elle aussi par le collectif MuraleCréation, cette murale de 450 m² située sur le mur ouest de l’édifice Marie Guyart renvoie à l’histoire politique québécoise et rend hommage à la ville de Québec et à son statut de capitale politique. Elle représente ainsi la façade de l’hôtel du Parlement, siège de l’Assemblée nationale du Québec, où figurent divers personnages qui ont marqué l’histoire politique du Québec, comme Jean-Antoine Panet, Louis-Joseph Papineau, John Neilson, Louis-Alexandre Taschereau, Eugène-Étienne Taché, René Lévesque et Robert Bourassa. Les événements marquants de la quête politique et identitaire des Québécois, sans oublier l’apport de certains groupes à la vie politique de Québec, sont également illustrés à travers quelques scènes ou personnages. La réalisation de cette fresque, conçue en 2008 pour célébrer le 400e anniversaire de la fondation de Québec, a suscité de vives polémiques au sein de la société québécoise. En effet, s’inscrivant dans un projet pancanadien visant à doter chaque capitale provinciale d’une fresque sur son histoire politique, la fresque BMO a été considérée par certains commentateurs comme un détournement du sens historique de la fête du 400e, en mettant en scène la naissance du Canada plutôt que la fondation de Québec (NOTE 4).
Au-delà de l’esthétique, des œuvres identitaires et mémorielles
La valeur patrimoniale des fresques de Québec repose essentiellement sur le rôle identitaire et mémoriel dont elles sont investies, davantage que sur leur fonction esthétique de requalification urbaine. Bien sûr, ces peintures murales viennent embellir des lieux parfois dénaturés, parfois simplement sans intérêt, en leur apportant couleurs et attrait, en plus de susciter un réel intérêt chez les touristes. Mais plus encore, les fresques possèdent une valeur identitaire et mémorielle grâce au contenu historique qu’elles livrent à même les murs de la ville. Les thématiques qu’elles illustrent sont en effet celles de l’histoire de la ville et de ses habitants, du passé d’un quartier, d’un bâtiment, d’une institution. Les citoyens et les habitués d’un quartier peuvent ainsi regarder et se remémorer une page de leur histoire et de leur patrimoine, tandis que visiteurs et promeneurs y découvrent des fragments de l’histoire de Québec, illustrée de manière originale et attrayante. De plus, les fresques participent au développement d’un sentiment d’appartenance des habitants de Québec à leur ville par les multiples références identitaires présentes dans les compositions. Sorte de mémoire urbaine de la capitale, les fresques murales de Québec constituent un patrimoine unique et doublement précieux puisqu’elles sont à la fois supports et gardiennes d’un patrimoine, et patrimoine elles-mêmes.
Un patrimoine en construction
Le programme de réalisation de fresques murales dans la région de Québec, qui en est déjà à une vingtaine d’œuvres, se poursuit toujours et participe à la construction du patrimoine de demain dans la capitale. En venant enrichir l’offre touristique et attirer les visiteurs dans certains endroits de la ville, les fresques murales constituent un élément fort de découverte et de mise en valeur de la ville. Néanmoins, les fresques elles-mêmes sont présentement peu mises en valeur. En effet, il n’existe pour l’instant aucune activité d’interprétation ou de visite des fresques (panneaux d’interprétation, visite commentée…) pour ce patrimoine pourtant déjà bien intégré à l’offre touristique et connu des visiteurs. Grâce à une promotion active auprès des touristes, les fresques du Vieux-Québec, et notamment la Fresque des Québécois, idéalement située à proximité immédiate de Place-Royale, et la Fresque du Petit-Champlain, sont devenues de véritables attractions. Ce succès grandissant devrait sans doute donner lieu à l’élaboration prochaine d’activités d’interprétation et de mise en valeur pour ce patrimoine encore en construction.
Claire Cousson
DESS en muséologie, Université Laval
Maitrise en histoire, Université de Pau et des Pays de l’Adour (France)
NOTES
1. Suzel Brunel, La murale urbaine : pratique et fonctions, Québec, Commission des biens culturels du Québec, 2004, p. 7.
2. Ibid., p. 8.
3. Ibid., p. 9-11.
4. Antoine Robitaille, « Une fresque sème la controverse à Québec », Le Devoir, 15 septembre 2007.
BIBLIOGRAPHIE
Brunel, Suzel, La murale urbaine : pratique et fonctions, Québec, Commission des biens culturels du Québec, 2004, 63 p.
Desautels, Vincent, La fresque des Québécois, Québec, Société de développement des entreprises culturelles du Québec et Commission de la capitale nationale du Québec, 1999, 48 p.
Lamarche-Vadel, Gaëtane, De ville en ville, l’art au présent, La Tour-d’Aigues (France), Éditions de l’Aube, 2001, 171 p.
Miles, Malcolm, Art, Space and the City : Public Art and Urban Futures, Londres, Routledge, 1997, 266 p.
Pilon, Victor (photographe) et al., Murs et murales, Saint-Laurent (Qc), Éditions du Trécarré, 1988, 130 p.
Poirieux, Corinne, et Nathalie Bissonnette, Murs mémoires de Rhône-Alpes à Québec : 10 ans de fresques au Québec, Québec, Commission de la capitale nationale du Québec; Lyon, Éditions lyonnaises d’art et d’histoire, 2009, 144 p.
Rousseau, François, La fresque de l’Hôtel-Dieu de Québec, Québec, Commission de la capitale nationale du Québec, 2004, 47 p.
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