Fête fransaskoise
par Labrecque, Anne-Marie
Pendant 25 ans, de 1980 à 2004, les Fransaskois se réunissaient une fin de semaine d’été par année pour célébrer le fait français en Saskatchewan. Ce point de rencontre était la Fête fransaskoise. À cette occasion, jeunes et moins jeunes participaient à de nombreuses activités culturelles et sportives, prétextes aux retrouvailles. À la suite de sa disparition, de nombreux Fransaskois ont espéré voir revivre cette tradition qui avait pour objectif de maintenir un patrimoine francophone vivant en Saskatchewan et d’entretenir la fierté fransaskoise. Il semble que leur souhait ait été entendu puisqu’au printemps 2009, l’Association jeunesse fransaskoise a annoncé le retour de cette pratique patrimoniale.
Article available in English : Fête Fransaskoise: Saskatchewan’s French Cultural Festival
La fête des Fransas…quoi ?
Dans les années 1960, le renforcement du nationalisme québécois ainsi que la substitution du réseau institutionnel canadien-français par les États des provinces entraînent la multiplication des identités francophones au Canada. Les Franco-Canadiens de la Saskatchewan développent alors un sentiment d’appartenance pour leur territoire, qui se traduit en une valorisation de leurs particularités historiques et culturelles. De nombreuses expériences distinguent cette communauté des autres Canadiens français, dont la rencontre et la cohabitation de plusieurs groupes francophones d’Amérique et d’Europe et les luttes opiniâtres menées au fil du siècle pour conserver leur langue. Cette sensibilisation des francophones de la province à l’existence d’une identité riche et qui leur est propre survient dans un contexte où leur taux d’assimilation atteint 50 %. Qu’à cela ne tienne! De grands moyens sont déployés à cette époque pour solidifier ce sentiment identitaire émergent. Le terme « Fransaskois » est adopté pour qualifier ceux qu’on désigne parfois aujourd’hui comme des « parlants français » à l’intérieur de la province. En 1979, ces derniers se dotent d’un nouveau symbole, le drapeau fransaskois. C’est dans ce climat culturel particulier qu’apparaissent des manifestations telles que On s’garoche à Batoche puis, ensuite, la Fête fransaskoise (NOTE 1).
De « On s’garoche à Batoche » à la Fête fransaskoise
C’est afin de susciter un sentiment d’appartenance et de fierté chez les jeunes Canadiens français qu’est organisé, à l’été 1979, l’événement On s’garoche à Batoche. Ce festival historique, échafaudé par les associations jeunesse francophones des quatre provinces de l’Ouest, a pour objectif de permettre aux jeunes de redécouvrir leurs racines de même que la contribution de leurs ancêtres à la construction de l’Ouest. Ils sont plus de 500 à se rendre sur le site historique de Batoche en Saskatchewan pour célébrer le fait français dans l’Ouest. Quatre jours durant, des spectacles musicaux et à saveur historique sont offerts par et pour les jeunes. Cet événement s’avère déterminant pour plusieurs d’entre eux qui réalisent alors l’importance de participer à la revitalisation de la francophonie dans leur province.
L’année suivante, c’est à l’initiative de l’Association jeunesse fransaskoise (AJF), encouragée par le succès de On s’garoche à Batoche, qu’un comité se forme afin d’organiser un rassemblement à l’intention de tous les Fransaskois. Ce comité, composé de membres de l’AJF, de l’Association culturelle franco-canadienne (ACFC) et de la Commission culturelle fransaskoise (CCF), établit des objectifs ambitieux pour l’événement à venir, dont celui de développer un sentiment de fierté fransaskoise. En mai 1980, l’importance d’organiser cette réunion festive est soulignée dans l’Eau vive, le journal des francophones de la province : « C’est en se touchant les coudes, en partageant les joies et en agissant ensemble que nous développerons cette force indispensable à notre survie. »
Un rendez-vous incontournable
À partir de sa deuxième édition, la Fête est parrainée par la CCF, organisme porte-parole des Fransaskois en matière de culture. En 1984, la Fête quitte Saint-Laurent de Grandin pour devenir itinérante, ce qui a pour effet de renforcer son esprit communautaire. Dès lors, au cours des vingt années suivantes, toutes les communautés francophones seront mobilisées à un moment ou un autre pour recevoir en grand les Fransaskois qui, très souvent, n’auraient jamais mis les pieds chez eux si ce n’avait été de la Fête, alors que ceux-ci sont très dispersés sur le territoire de leur province.
Chaque année, la communauté hôte met sur pied un comité organisateur qui s’ingénie à mettre en valeur ce qui la distingue. Par exemple, la culture métisse est mise à l’honneur lors de la fête de Batoche, celle de Prud’homme est jumelée au 75e anniversaire de la paroisse et le géant Beaupré est la vedette de celle de Willow Bunch. Mais si la Fête est unique d’une année à l’autre, des traditions s’y établissent néanmoins au fil du temps grâce aux organisateurs du Conseil culturel fransaskois (l’organisme est créé en 1974 et porte le nom de Commission culturelle fransaskoise jusqu’en 1999 où il est rebaptisé Conseil culturel fransaskois). Dès les premières éditions, les sports et les loisirs sont au cœur de la Fête et, bien que des tournois de toutes sortes s’y soient tenus, c’est la balle-molle qui rallie le plus les Fransaskois. Une autre tradition également très rassembleuse est celle du grand spectacle du vendredi soir. Lors des premières fêtes, les artistes de la Saskatchewan sont en vedette, puis, la manifestation devient ensuite l’occasion de découvrir des artistes francophones de l’extérieur, surtout du Québec. Le théâtre, bien qu’il ne soit pas du programme chaque année, obtient toujours un vif succès. La Troupe du Jour, une institution en Saskatchewan, est une fidèle participante. La musique traditionnelle a aussi toujours sa place, et ce sont surtout les Danseurs de la rivière La Vieille de Gravelbourg et ceux de la Ribambelle de Saskatoon qui se relayent au fil des ans pour guider les pas des festivaliers au son de cette musique. Enfin, diverses organisations fransaskoises deviennent partenaires de la Fête et organisent des activités qui deviennent des valeurs sûres de l’événement, comme le Festival jeunesse (Association jeunesse fransaskoise) et les Folies des aînés (Fédération des aînés fransaskois).
Si la réalisation de l’objectif de départ de la Fête, celui de susciter un sentiment de fierté et d’appartenance pour la culture fransaskoise, est difficile à quantifier, celui de faire de la Fête un rendez-vous de première importance est atteint, si l’on en croit un article de L’Eau vive, paru en 1991, qui affirme que « [m]aintenant, les francophones planifient ce week-end à tous les étés » (NOTE 2).
Le sens de la Fête
Il est d’ailleurs intéressant d’approfondir le point de l’impact de la Fête sur la communauté francophone de la province, alors qu’on pourrait se limiter à définir l’événement comme une occasion de célébrer en famille et entre amis. Lorsqu’on demande aux participants ce qu’ils préfèrent à la Fête, une réponse revient invariablement : les retrouvailles. Les multiples activités et spectacles sont en fait une toile de fond à la rencontre de Fransaskois de toute la province, dans une ambiance festive plutôt que dans le cadre des traditionnelles rencontres administratives dont est déjà truffée la vie communautaire fransaskoise. Au plaisir de la rencontre s’ajoute celui de se sentir à l’aise de parler français, sans craindre d’être jugé, ou incompris, par son interlocuteur. Ce climat favorable généré par l’événement a un effet important sur les jeunes qui prennent alors conscience de leur caractère distinct.
De plus, la communauté hôte bénéficie beaucoup de la présence de la Fête chez elle. Non seulement elle a un effet rassembleur parmi les membres de la communauté qui tiennent tous au succès de ce projet commun, mais elle est aussi l’occasion de faire connaître la communauté fransaskoise aux anglophones de la région, qui, d’ailleurs, participent souvent à l’organisation de la Fête qui se prépare chez eux.
Un autre effet majeur de la Fête est de favoriser l’émergence d’une musique fransaskoise. À une époque où il n’y a pas encore un réseau de diffuseurs de spectacles français en province, les scènes de la Fête mettent en valeur des artistes fransaskois. La rencontre de ces derniers avec d’autres artistes francophones du pays contribue à faire connaître et voyager la musique fransaskoise, imprégnée de la liberté et de l’espace offerts par les Plaines. La Fête suscite également des vocations chez les jeunes qui réalisent que faire de la musique en français est possible.
Les défis de la Fête
En 1998, une importante diminution dans le financement qu’elle reçoit de Patrimoine canadien amène la Commission culturelle fransaskoise à se retirer de la gestion de la Fête. À partir de ce moment, l’événement vit une crise aiguë de leadership. Jusqu’à sa dernière édition, en 2004, différents acteurs de la communauté tenteront de s’entendre sur une formule à adopter pour la survie de la Fête, mais sans succès. On n’arrivera pas à définir le rôle que chacun doit jouer dans sa gestion. Le Conseil culturel fransaskois désire rester à la tête de l’événement, mais sans toutefois en assumer la responsabilité financière. À l’ACF, organisme porte-parole des Fransaskois, qui est prêt à assumer cette responsabilité, on rétorque qu’elle empiète sur le domaine de l’organisme responsable du développement artistique et culturel fransaskois. D’ailleurs, en 1998, lors de la création de l’ACF, une institution qui joue un rôle politique important à l’intérieur de la communauté fransaskoise, les organismes provinciaux sentent qu’ils viennent de perdre un certain pouvoir. Cet esprit ne sera pas propice à une entente concernant le fonctionnement de la Fête. Cette guerre intestine se fera au détriment des communautés qui, seules à soutenir la Fête, sont à bout de souffle. En 2004, un rapport commandé par l’ACF et réalisé par la firme québécoise Renaud, conclut que la Fête agonise. On y explique ce qu’on considère comme une sérieuse menace à la pérennité de l’événement : « […] il faut noter que la dynamique politique dans la communauté pourrait être un sérieux frein au développement de la Fête […] à cause du manque de complicité des leaders, de la guerre de clochers entre les organismes fransaskois et du besoin excessif de concertation. »
Si le rapport attribue les revers de la Fête à une crise de leadership dans la communauté fransaskoise, Karine Laviolette, dans son étude intitulée Le tourisme en Saskatchewan francophone, émet l’hypothèse selon laquelle les difficultés de la Fête fransaskoise traduisent la difficulté des Fransaskois à se définir. La Fête, censée être « un espace privilégié d'expression de la culture et de l'identité fransaskoise », serait un symptôme de cette crise identitaire. Toujours est-il que c'est de guerre lasse qu'une partie des acteurs de la communauté capitulent en 2004 et abandonnent la Fête fransaskoise. Interrogée en 2008 sur l’avenir de l’événement, la Fransaskoise Annette Labelle, directrice du CCF de 1999 à 2001 , déclarait : « Si ce sont les jeunes qui ont lancé la première Fête, ce sont eux qui vont la ramener. » Cette affirmation s’avérera juste, puisqu’au printemps 2009, l’Association jeunesse fransaskoise annonce le retour de la Fête, après cinq ans d’absence. L’évolution de cette belle tradition reste à suivre.
Anne‑Marie Labrecque
Rédactrice‑recherchiste
Société historique de la Saskatchewan
NOTES
1. Frédéric Roussel-Beaulieu, « De Franco-Canadien à Fransaskois : l'émergence d'une nouvelle identité francophone », Revue historique (Regina, Société historique de la Saskatchewan), vol. 16, no 2, décembre 2005.
2. Johanne Lauzon, « La Fête fransaskoise est devenue une tradition », L’Eau vive, 8 août 1991.
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