Église Saint-Joachim d'Edmonton

par McMahon, François et Levasseur-Ouimet, France

Église Saint-Joachim. François McMahon.

« La semence a levé » (Matthieu 13), dit la bannière que la paroisse Saint-Joachim a préparée pour marquer le 125e anniversaire de l’établissement du diocèse d’Edmonton, en 1996. Cette parole extraite de l’Évangile s’applique aussi bien à la paroisse qu’à l’église Saint-Joachim de la ville d’Edmonton. Déclarée monument historique par le gouvernement de la province de l’Alberta, l’église représente bien cette paroisse qui, depuis son établissement au milieu du XIXe siècle et le début du développement de l’Ouest canadien, n’a pas cessé de rayonner et d’enrichir la vie des francophones de la province de l’Alberta. En effet, depuis sa construction en 1854, le premier bâtiment modeste baptisé « Mission Saint-Joachim » a continuellement pris de l’ampleur. En 1899, avec la construction de l’église Saint Joachim actuelle, c’est une véritable institution qui est établie et qui subsiste encore aujourd’hui.


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Les premiers missionnaires de l’Ouest

Joseph-Norbert Provencher. BAnQ.

Joseph-Norbert Provencher commence son action missionnaire dans la région ouest de la rivière Rouge (aujourd’hui Winnipeg, au Manitoba) en 1818. Quatre ans plus tard, on le nomme évêque et il hérite de la charge de tout l’Ouest canadien jusqu’au Pacifique, un territoire plus vaste que l’Europe qui devient peu après le diocèse de Saint-Boniface. Non seulement ce territoire est-il immense, mais la tâche que doit accomplir Mgr Provencher est énorme, car il ne peut compter que sur l’appui de deux ou trois prêtres à la fois. Malgré le peu de ressources dont il dispose, Mgr Provencher n’hésite pas à envoyer deux représentants de l’Église dans la région des Territoires du Nord-Ouest en 1838, les abbés Blanchet et Demers. En route pour la côte du Pacifique, Blanchet et Demers traversent les plaines, plantant une croix à chaque arrêt. Les deux abbés s’arrêtent notamment au fort Edmonton de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Cette visite marque le début de la paroisse Saint-Joachim aux yeux des paroissiens actuels.

Albert Lacombe. BAnQ.

Lors de leur voyage à travers les plaines, Blanchet et Demers rencontrent un Canadien français du nom de Piché, venu du Québec 40 ans auparavant. Piché a épousé une femme crie, Magdeline Opitaskewis, et ils ont eu quatre fils. Or, le vieux Piché et ses nombreux descendants expriment le souhait d’avoir des prêtres parmi eux. Deux des fils du chef se rendent alors à Saint-Boniface pour en faire la demande officielle auprès de Mgr Provencher. Cette visite et la nouvelle que trois ministres protestants, dont Robert Rundle, sont à l’œuvre dans les plaines depuis 1840 décident Mgr Provencher à envoyer l’abbé Thibault faire un voyage d’exploration dans l’Ouest. Cela fait bien l’affaire de John Rowand, le facteur en chef du fort Edmonton, qui a remarqué l’influence bénéfique des prêtres catholiques sur les habitants du fort. Comme il est justement de passage au fort Garry (situé près de Saint-Boniface, au Manitoba) à l’été de 1841, lorsque les fils de Piché viennent plaider leur cause, Rowand est en mesure d’appuyer discrètement le projet.

L’abbé Thibault arrive à Edmonton le 19 juin 1842 et, après un bref séjour, il retourne à Saint-Boniface, rapportant avec lui une pétition signée par un grand nombre de Métis et d’Indiens. Ceux-ci demandent un prêtre. Lorsqu’il est de retour au fort le printemps suivant, Thibault choisit de ne pas s’établir au fort Edmonton où règne l’irascible Rowand, mais s'installe plutôt sur les rives du lac Manitou-Sakahigan, endroit qu’il nomme Sainte-Anne. En août 1844, l’abbé Joseph Bourassa vient lui prêter main-forte. Les deux abbés font de fréquentes visites au fort Edmonton entre 1842 et 1852. Albert Lacombe, qui a été ordonné prêtre en juin 1849 et qui a été envoyé par Mgr Bourget de Montréal pour aider Mgr Provencher, arrive à Edmonton le 17 septembre 1852, alors qu’il n’a que 22 ans. Le père René Rémas, à qui on a demandé de fonder la mission de Lac-la-Biche quelques années auparavant, vient rejoindre Lacombe en 1855, lui permettant ainsi de poursuivre son noviciat et de devenir missionnaire oblat de Marie-Immaculée en septembre 1856. C’est cet ordre religieux qui fournira un clergé pour ces immenses territoires.

La première paroisse d’Edmonton : au service du fort

À partir de 1853, les pères Lacombe et Rémas assurent la desserte du fort Edmonton. Il n’y a encore ni chapelle ni église au fort mais le facteur en chef, John Rowand, a bien voulu donner au père Lacombe une petite demeure adjacente au chemin principal et située dans l’enceinte du fort. Cette petite bâtisse qui sert de maison-chapelle est officiellement baptisée « Mission Saint-Joachim » le 20 mars 1854, lors de la première visite épiscopale de Mgr Alexandre Taché, nommé coadjuteur de Mgr Provencher quatre ans auparavant.

Première église Saint-Joachim. Missionary Oblates, Grandin Archives.

À la demande du père Lacombe, Christie, le nouveau facteur en chef du fort, a commencé la construction de la première église Saint-Joachim en 1857, aux frais de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Le geste de Christie n’est pas complètement désintéressé car, en plus de vouloir faire plaisir à son vieil ami le père Lacombe, il espère avoir trouvé le moyen d’exercer une certaine influence pacifique sur les Indiens. La construction de la nouvelle chapelle est terminée le 24 décembre 1859, juste à temps pour la messe de minuit.

Pendant les prochaines quinze années, jusqu’en 1876, cette première église demeure au service des catholiques du fort. Elle sert aussi d’école et les premiers élèves sont les enfants des employés de la Compagnie de la Baie d’Hudson. D’origines anglaise, écossaise, française et métisse, ces enfants étudient sous la direction du frère Scollen, qui leur enseigne le catéchisme, le chant d’église et la manière de servir la messe.

Mais le rôle vital du fort Edmonton diminue peu à peu, permettant à la communauté d’Edmonton de se développer de manière indépendante. De plus, la composition de cette communauté commence à changer. Le gouverneur de la Compagnie de la Baie d’Hudson demande alors aux pères oblats de déménager l’église de Saint-Joachim jusqu’alors située dans le fort. Un certain Malcolm Groat, qui possède un large territoire situé à l’extérieur de la réserve de la baie d’Hudson, va gracieusement offrir treize acres de son terrain à Mgr Grandin. Cela marque les modestes débuts de la deuxième église Saint-Joachim et le cœur du développement de la communauté francophone à l’extérieur du fort, ainsi qu’à l’intérieur du village qui deviendra par la suite la métropole d’Edmonton. Le 11 octobre 1876, l’église située dans l’enceinte du fort est défaite et le bois est transporté sur le terrain de M. Groat.

Une nouvelle église pour une ville en expansion

Le nombre de paroissiens va croître rapidement et le 1er octobre 1883, le neveu de Mgr Grandin, le père Henri Grandin, vient s’installer de manière permanente dans la deuxième église Saint-Joachim. Les nouveaux Canadiens (terme qui désignait les francophones à l’époque), venus largement du Québec pendant cette première période, vont se retrouver autour de leur église et développer une vie sociale et culturelle en français. À partir de la paroisse, les francophones fonderont le Conseil scolaire catholique Saint-Joachim (1888), qui sera le premier dans la province; puis deux hôpitaux y seront construits grâce à l’appui des Sœurs de la Miséricorde et des Sœurs grises de Montréal, présentes dans la province depuis le milieu du XIXe siècle.

Église Saint-Joachim 1884. The Provincial Archives of Alberta.

En 1882, la Compagnie de la Baie d’Hudson fait arpenter une partie de son immense domaine pour en mettre les lots sur le marché. Par mesure de prudence, Mgr Grandin fait l’acquisition de tout un bloc de terrain à proximité du fort. Le 1er juin 1886, le père Grandin revient de Saint-Albert avec le frère Patrick Bowes, qui a été chargé de dresser le plan d’une église de fortes dimensions qu’on veut construire sur le nouveau terrain. Le 22 août de la même année, jour de la fête de Saint-Joachim, le père Joseph Lestanc, administrateur du diocèse, bénit la nouvelle église.

Au début des années 1890, les circonstances changent quelque peu. Le nombre de catholiques augmente sensiblement et le père Lacombe songe à la construction d’une église mieux adaptée aux besoins d’une population toujours croissante. Toutefois, c’est le père Hippolyte Leduc, qui a remplacé le père Lacombe à Saint-Joachim, qui amorce la construction de la quatrième et dernière église. Les travaux d’excavation sont commencés à l’été de 1898 et la pierre angulaire est bénie le 24 septembre 1899, lors des célébrations du Jubilé d’or du père Lacombe. Cette première pierre placée à quelques pieds du sol, dans le mur de façade sur le côté nord-est de l’édifice, porte l’inscription « O M I - 1899 ». Le Edmonton Bulletin du 6 février 1899 annonce que Franz Xavier Deggendorfer a été choisi comme architecte de la nouvelle église et que selon les premiers plans, celle-ci pourra accueillir environ 500 personnes. Le 8 décembre 1899, fête de l’Immaculée-Conception, la nouvelle église est assez avancée pour être bénie et ouverte au culte.

Église Saint-Joachim,1896. Missionary Oblates, Grandin Archives.

La population d’Edmonton connaît une croissance très rapide : entre 1904 et 1914, elle passera de 8 350 à 72 516 habitants et celle des francophones de 500 à 3 500. En outre, la population catholique est de plus en plus diversifiée sur le plan ethno-linguistique. Aussi, on finira par créer d’autres paroisses irlandaises, polonaises, allemandes, et autres, alors que Saint-Joachim demeurera la « mère-église » des francophones et la principale base institutionnelle de l’identité française à Edmonton et en Alberta. Aujourd’hui encore, les activités associées à l’Église catholique fournissent aux francophones d’Edmonton de nombreuses occasions de se rencontrer, de former des amitiés et des alliances. Les francophones se retrouvent aussi dans un nombre important d’organismes qui leur permettent de travailler ensemble, de partager et d’élaborer une vision et une action politiques communes.

Au fil des années, la proportion de francophones diminue du fait d’une croissance rapide de la population anglophone en provenance de l’Ontario et de l’Europe. Face à ce phénomène, les francophones ressentent le besoin de former leurs propres associations. En effet, alors qu’il leur était possible de dominer les institutions de l’ensemble de la population quand ils formaient la majorité ou presque de la population, en devenant de plus en plus minoritaires ils doivent s’organiser entre eux pour gérer leurs écoles, leurs hôpitaux, leurs activités sociales et culturelles, le théâtre par exemple.

La paroisse Saint-Joachim, au cœur du patrimoine francophone de l'Alberta

Vue aérienne de l'église Saint-Joachim. Missionary Oblates, Grandin Archives.

Même s’il y a d’autres paroisses francophones dans la province de l’Alberta et plus particulièrement dans la région d’Edmonton, celle de Saint-Joachim demeure le principal point de regroupement de l’élite socio-professionnelle des francophones jusque dans les années 1960. Après la Deuxième Guerre mondiale, l’augmentation de la population amènera le déménagement de celle-ci vers les banlieues et la transformation du quartier de Saint-Joachim, tout près du centre-ville, en quartier d’appartements pour la population transitoire.

C’est autour du Collège Saint-Jean, en pleine expansion durant cette période, que la francophonie va se regrouper principalement. On y fondera une nouvelle paroisse, puis, progressivement, les écoles francophones, la cité francophone et la Caisse populaire francophone s’y installeront pour en faire le quartier des francophones à partir des années 1980.

Néanmoins, Saint-Joachim demeure une paroisse du centre-ville très active, avec une clientèle vieillissante mélangée à une nouvelle clientèle d’immigrants venus souvent d’Afrique et qui s’intègre à la communauté francophone tout en exigeant que celle-ci évolue. La paroisse Saint-Joachim accepte ainsi d’être un témoin privilégié de ce passé. C’est à partir d’elle que la francophonie albertaine s’est dotée d’hôpitaux, d’écoles, de collèges et de couvents pour les jeunes filles, d’organisations culturelles pour la musique et d’un théâtre français. Son église, plus que centenaire, représente bien une histoire admirable.

Fiers du rôle que leur paroisse a joué dans l’histoire des catholiques et des francophones de l’Alberta, les paroissiens actuels croient que Saint-Joachim a encore une autre mission à remplir : celle d’insuffler aux nouvelles générations de jeunes Albertains la fierté de leur histoire francophone. Cette fierté, cependant, doit amener la communauté à se recréer en fonction d’un avenir beaucoup plus diversifié, qui prend en compte les origines ethno-culturelles de ses membres. Ainsi, l’église Saint-Joachim joue aujourd’hui un rôle clé dans l’accueil de ces nouveaux Franco-Albertains. Par son intermédiaire, ils peuvent découvrir l’histoire de la province et une culture en français en territoire albertain, où l’immigration internationale est très forte.


François McMahon
France Levasseur-Ouimet
Campus Saint Jean, Université d'Alberta

 

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