Parc national de l’île Bonaventure et du rocher Percé
par Chaillon, Corentin
Niché à l'extrémité est de la péninsule gaspésienne, le site de Percé retient l'attention depuis des siècles. Sa géologie sans pareil séduit autant qu'elle étonne. Falaises abruptes, monolithe calcaire géant, terre rouge, cap blanc, mariage grandiose de la mer et de la montagne. Percé fascine et s'impose comme l'un des joyaux naturels du Québec. Riche d'une histoire humaine plusieurs fois centenaire, principalement marquée par la pêche, puis le tourisme, le site sert d'écrin à deux joyaux du patrimoine naturel canadien : l'impressionnant rocher Percé et l'île Bonaventure qui abrite la plus grande colonie de fous de Bassan au monde. Le Parc national de l'île-Bonaventure-et-du-rocher-Percé, créé en 1985, assure la protection de ce patrimoine naturel exceptionnel.
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L'histoire géologique de l'île Bonaventure et du rocher Percé
La géologie du parc demeure indéniablement son atout le plus connu et le plus spectaculaire. Impossible de pénétrer dans la baie de Percé sans être aussitôt frappé par le paysage hors du commun que des dizaines de milliers de personnes viennent admirer chaque année et qui a fait de Percé l'un des symboles touristiques du Québec..
Pratiquement échoué sur la grève, le rocher Percé attire tous les regards. Avec ses 475 mètres. de long, ses 90 mètres de large et ses 85 mètres de haut, le monolithe percé de part en part par un trou de 20 mètres de diamètre impose sa massive et magnifique présence. Cette énorme table sédimentaire de cinq millions de tonnes côtoie, chose rare, quatre autres affleurements géologiques d'époques différentes, qui résultent tous d'une très longue histoire. Cette partition minérale, dont les premiers accords remontent au précambrien, il y a plus de 600 millions d'années, est en fait celle de la formation des Appalaches. Les montagnes qui entourent Percé constituaient le fond plat d'un ancien océan. Elles furent empilées, façonnées et redressées sous l'action de puissants mouvements tectoniques, puis usées par l'érosion, jusqu'à offrir le visage que nous leurs connaissons aujourd'hui.
Le patrimoine faunique de l'île Bonaventure
La géologie du site a une autre conséquence que son esthétique hors du commun. En effet, les falaises qui ceinturent les côtes, leur relatif isolement et la richesse halieutique des eaux froides du golfe Saint-Laurent, font de ces lieux de véritables sanctuaires pour les oiseaux marins. . Ceci est d'autant plus vrai sur l'île Bonaventure où les strates horizontales du conglomérat offrent, suite à l'érosion, d'innombrables cavités, corniches et plateaux qui sont autant de lieux propices à la nidification de ces d'oiseaux. Fous de Bassan, guillemots, marmettes, petits pingouins, mouettes tridactyles, macareux et goélands fréquentent par dizaines de milliers cette île de quatre kilomètres carrés.
Mais l'île Bonaventure n'est pas qu'un sanctuaire d'oiseaux marins. Les oiseaux terrestres y trouvent également des habitats variés et un véritable havre de paix, puisque les prédateurs en sont quasi absents. Ainsi, chaque année, le parc voit passer plus de 250 des 300 espèces d'oiseaux que l'on peut observer dans toute la Gaspésie. Cette diversité, ainsi que les excellentes conditions d'observation, font dire aux ornitholoques qui la fréquentent en grand nombre que l'île Bonaventure est l'un des 12 sites d'observation les plus importants au monde.
Parmi tous ces visiteurs ailés, le fou de Bassan, par sa taille et son nombre, est devenu le symbole de l'île Bonaventure. L'une des missions du Parc est d'ailleurs de protéger et de mettre en valeur la colonie des fous de Bassan de l'île.
Le fou de Bassan, portrait d'une star
Le fou de Bassan (Morus bassanus), est le plus grand oiseau marin du Canada. Son nom lui viendrait de son allure un peu étrange et maladroite, quand il ne vole pas, mais aussi de ses lunettes noires censées rappeler le masque que portaient les fous du roi. Son plumage blanc contrasté du noir intense des primaires, sa tête délicatement nuancée de safran et ses paupières bleues azur, ont offert au fou de Bassan une esthétique à la hauteur de son rôle de vedette.
Comme 95% des espèces d'oiseaux marins, le fou niche en colonie. Celle de l'île Bonaventure, avec ses 62 000 couples, offre une vision tout simplement inoubliable. C'est la plus grande colonie de fous de Bassan au monde, et aussi la plus accessible. Tous les ans, entre mai et octobre, les fous s'installent à l'île Bonaventure pour nicher et se reproduire, avant de retourner dans les eaux chaudes du golfe du Mexique pour passer l'hiver. Pour les oiseaux, l'intérêt biologique de la dense colonie qu'ils forment pendant l'été est énorme. En plus de permettre une meilleure défense face aux prédateurs, cette organisation permet d'accroître le succès reproducteur de l'espèce, dans un contexte où leur principale ressource alimentaire n'est que « temporaire » (les poissons dont ils se nourrissent ne sont que de passage l'été dans les eaux du golfe Saint-Laurent). Ce succès dépend donc en grande partie de la capacité du fou à mener à terme l'élevage de son unique poussin avant de manquer de nourriture. La stimulation sociale et sexuelle générée par la présence des autres oiseaux de la colonie a notamment pour effet de synchroniser les pontes plus tôt en saison, augmentant ainsi les chances de survie des poussins.
Sur l'île Bonaventure, la colonie s'étend sur les hauteurs situées à l'est de l'île, là où les falaises particulièrement élevées offrent à la fois protection et forts courants ascendants capables de supporter ce lourd oiseau de trois kilos lors de ses atterrissages et décollages. Si, de prime abord, la colonie peut paraître un peu anarchique, il en va en réalité tout autrement. En effet, la colonie s'avère une structure très bien organisée. Au niveau individuel, chaque nid (un petit monticule d'algues, de brindilles et de fientes) est distant du nid voisin de 80 centimètres, soit la distance minimale pour que deux fous voisins ne puissent s'atteindre de leur bec. Cette disposition quasi mathématique des nids a le double avantage d'optimiser l'espace disponible tout en minimisant les risques de conflits. Au plan collectif, on peut observer un autre type d'organisation. Le centre de la colonie est occupé exclusivement par des adultes reproducteurs, tandis que la périphérie est occupée par des individus immatures (six ans et moins). En s'installant aux cotés d'oiseaux expérimentés, ces immatures au plumage plus sombre vont apprendre pendant quelques années, par imitation, leur futur rôle de reproducteur, tout en trouvant parmi les autres fous non appariés leur futur partenaire. Car voilà une caractéristique importante de ce grand oiseau : sa fidélité. Dérogeant aux standards romantiques que l'homme veut bien prêter aux animaux, c'est cependant à son nid (c'est-à-dire à son territoire) que le fou est fidèle, et non à son conjoint. Toutefois, comme les oiseaux d'un couple sont fidèles au même nid, ils le sont par la force des choses également l'un à l'autre. Ainsi, chaque été, de nouveaux couples « entrainés » par leurs voisins bâtiront de nouveaux nids, toujours à la même distance les uns des autres, toujours en périphérie, accroissant ainsi la colonie jusqu'à ce que celle-ci ne puisse plus accueillir de nouveaux oiseaux.
La baie de Percé : un concentré d'Histoire
La colonie de l'île Bonaventure, si considérable qu'elle peut sembler éternelle, n'a pourtant pas toujours existée. Les premiers navigateurs qui relâchèrent dans la baie de Percé n'en faisaient en tout cas pas mention. C'est seulement en 1860 que l'on nota pour la première fois la présence des fous de Bassan.
Les premiers européens qui ont fréquenté la baie de Percé étaient des pêcheurs qui, suite aux pénuries de poissons qui sévissaient dans les eaux entourant le Vieux continent, s'aventurèrent sur les côtes de Terre-Neuve et de la Gaspésie pour exploiter les énormes stocks de morues qu'on y trouvait (et qu'on a longtemps cru inépuisables). Vers la fin du mois de mars, Normands, Bretons, Basques et Charentais appareillaient pour les côtes du Nouveau Monde. Sur place, sous l'autorité du premier capitaine arrivé, la communauté des pêcheurs s'organisait pour la saison avant de retourner en Europe l'automne venu, les cales pleines de la fameuse morue salée séchée des côtes américaines.
Faute d'écrits et de traces persistantes, on ne connaît pas en détails l'histoire de l'occupation de la baie avant que les premiers pêcheurs européens n'aient commencé à fréquenter ces côtes. On sait que les autochtones de la nation Micmac habitaient déjà la Péninsule gaspésienne qu'ils parcouraient au gré des saisons pour la chasse et la pêche. Très tôt d'ailleurs, les pêcheurs établirent des relations privilégiées avec ces premiers habitants, que ce soit pour obtenir de la viande ou des fourrures, ou encore pour laisser en gardiennage leurs équipements de pêche pour l'hiver, quand ils rentraient en Europe.
Régime français
Au printemps 1534, Jacques Cartier remonta les côtes de la baie des Chaleurs à la recherche d'un passage vers l'ouest. Il prit officiellement possession de ce territoire le 24 juillet de la même année, à Gaspé, au nom de la couronne de France.
Après 1604, à la faveur du développement progressif de l'Acadie et de la Nouvelle-France, l'activité de pêche va s'intensifier à Percé, malgré quelques troubles avec les Anglais. C'est d'abord à Nicolas Denys, gouverneur de la seigneurie de Percé, puis à son neveu qu'incombent la lourde tâche de gérer l'établissement permanent des pêcheurs à partir de 1653. Mais la tâche est ardue. Loin des centres de pouvoir et de services, sur des terres arides, sans grande ressource financière, l'entreprise, prospère à ses débuts périclite doucement. Les sédentarisations restent finalement peu nombreuses. Malgré tout, l'industrie de la pêche est florissante et l'île Bonaventure s'impose comme le poste de pêche le plus important du golfe, avec plus de 600 pêcheurs en opération pendant la saison estivale.
Mais l'attaque d'une flotte pirate à la solde des anglais en 1690, puis d'une seconde en 1702, qui rasèrent tous les établissements de la côte gaspésienne, anéantiront les efforts de colonisation déployés jusqu'alors. Dans ce climat de guerre et d'insécurité entre Français et Anglais, il faudra attendre presqu'un siècle pour que l'île Bonaventure soit de nouveau occupée.
Régime anglais
En 1763, le Traité de Paris confirme la conquête de la Nouvelle-France par les Anglais. Dans la baie de Percé, les choses changent lentement. Si les pêcheurs du Bas-Canada (ancienne Nouvelle-France) et de l'Acadie continuent de produire comme auparavant la très réputée morue salée séchée de cette région (la « Gaspe Cure »), les patrons de ce lucratif commerce sont désormais anglos-normands. Petit à petit, on constate que des pêcheurs s'établissent de façon permanente sur les côtes de la Gaspésie, ce que n'avaient pas réussi à réaliser à son époque Nicolas Denys et son neveu. Pour obtenir de tels résultats, les entreprises jersiaises aguerries au commerce appliquent une stratégie reposant sur quatre piliers immuables :
- Elles implantent un magasin général qui favorise la sédentarisation des populations en offrant les biens essentiels ;
- Elles s'équipent d'une flotte marchande autonome ;
- Elles développent un vaste réseau de distribution adapté aux différentes qualités de la morue (la morue de première qualité est destinée à l'Europe, celle de seconde qualité est exportée vers les colonies américaines).
- Surtout, ils mettent en place un système de crédit qui va petit à petit asservir les pêcheurs et leur famille à la compagnie.
À cette époque, la pêche à la morue est une activité dure et périlleuse. Le nom de certains bancs, comme le banc des Orphelins, témoigne de cette réalité. Mais pendant que les pêcheurs meurent ou s'endettent, de grandes compagnies jersiaises vont se partager cette industrie lucrative dans la baie de Percé. La première, la Charles Robin Compagny sera maître des pêches jusqu'au tournant du XIXe siècle et multipliera les postes de pêches dans toute la Gaspésie. Aguerris et enrichis par la gestion de certains de ces sites, quelques-uns des directeurs de poste de la Robin se lanceront bientôt à leur compte. Ainsi naîtront tour à tour la John Leboutillier Compagny, qui s'établira entre autres à Percé, et la Leboutillier Brother (cousin du précédent), qui ouvrira notamment un poste sur l'île Bonaventure. Ce sont les bâtiments de cette dernière compagnie qui sont encore présents sur l'île et ouverts aux visiteurs. Bien sûr d'autres compagnies vinrent s'installer. Les morues étaient nombreuses dans le golfe et l'espoir de faire fortune attirait beaucoup d'entrepreneurs, comme les Duvals, Hyman, et autres Janvrin.
La population de l'île Bonaventure, principalement anglaise jusqu'au milieu du XIXe siècle, formait une communauté dynamique et autonome. On y cultivait les terres, récoltait les œufs des fous de Bassan et ramassait le bois de chauffage. Grâce au magasin général dont les règles étaient plus souples qu'ailleurs, ainsi qu'à l'absence d'une autorité religieuse, on y vivait mieux que sur le continent tout proche.
Période contemporaine
Petit à petit cependant, les entreprises jersiaises, trop conservatrices, furent dépassées par les nouvelles technologies introduites au début du XXe siècle, tels la pêche au filet et au moteur, ou encore les bateaux réfrigérés qui permettaient d'exporter directement les filets de morue frais, désormais plus prisés. Elles ne surent s'adapter. A cette crise technologique s'ajouta la crise économique des années 1930. L'une et l'autre auront finalement raison de toutes ces entreprises autrefois prospères. Si, à Percé, on pût diversifier l'économie grâce au tourisme naissant, il en alla autrement à l'île Bonaventure qui était entièrement dépendante de la pêche. Petit à petit, l'île se vida de sa population. Des 172 habitants permanents recensés en 1831, il n'en restait plus qu'une poignée un siècle plus tard. A partir de 1967, plus personne n'habitait sur l'île à l'année longue. Les quelques propriétaires restant, majoritairement des étrangers, furent expropriés en 1970, quand le gouvernement du Québec acquit l'île en vue d'en faire un parc qui protégerait ce sanctuaire pour les oiseaux.
Finalement créé en 1985, le parc national de l'île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé ne se cantonne pas qu'à son rôle initial de conservation. Au contraire, le gouvernement s'assure (aujourd'hui par l'entremise de la Société des établissements de plein air du Québec) que le public puisse avoir accès de fa^con durable à ces extraordinaires richesses. De plus, en mettant sur pied un important programme de diffusion des connaissances, le parc remplit une autre de ses missions auprès du public : l'éducation, finalement seule garante de la conservation à long terme de ce patrimoine d'exception.
Aujourd'hui, le Parc accueille plus de 60 000 personnes venues du monde entier chaque année, qui viennent admirer le rocher Percé et visiter l'île Bonaventure, où ils profitent de l'important travail de restauration des bâtiments historiques et de l'inoubliable spectacle des colonies de fous de Bassan.
Corentin Chaillon
Biologiste
Illustrateur animalier
Bisson, M., Historique de l'île Bonaventure, Québec, Ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche et Ministère des Affaires culturelles, 1977, 172 p.
Lageux, L., Les fous de Bassan de l'île Bonaventure, Percé (Qc), Club des ornithologues de la Gaspésie, 1985, 80 p.
Lévesque, M., Synthèse des connaissances : parc national de l'Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé, SEPAQ, 2004.
McGerrigle, H. W., L'histoire géologique de la région de Percé, Québec, Ministère des Richesses naturelles, Direction générale des mines, 1968, 34 p.
Nelson, B., The Gannet, Vermillion (D. S.), Buteo Books, 1978, 336 p.
Pelletier, C., Notions de morphologie et d'écologie des oiseaux marins qui vivent à l'intérieur des limites du parc de l'Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé, Québec, Ministère de l'Environnement et de la Faune, Direction générale de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, 1998, 139 p.
Plourde, R., et C. Soucy, L'île Bonaventure : une histoire au pays de la pêche, vol. 1 : Le contexte historique, l'organisation de la pêche, les étapes du peuplement, Québec, Ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, 1990, 122 p.
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Vidéos
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Île Bonaventure (Film muet) Ce film montre l’île Bonaventure durant les années 1930, un endroit qui accueille plus de 200 espèces d’oiseaux et, particulièrement, des centaines de fous de Bassan qui couvent leurs œufs, alimentent leurs nouveau-nés et se font la cour. Parmi d’autres espèces, on nous montre des macareux, des pingouins torda et un guillemot marmette. De superbes images en couleurs suivent, tournées entre 1983 et 1991 de fous de Bassan lors de leur période de nidification : habitudes de pariade, construction des nids et couvée.
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Durée : 2 min 58 sec -
Percé (Film muet) Ce film montre le village de Percé et son célèbre rocher durant les années 1930. La pêche est à cette époque l’activité principale des habitants de Percé. Ils arrangent les morues au bord de l’eau et les font sécher sur les vigneaux. Ils les chargent dans des charrettes pour les transporter dans d’autres villages. On voit d’autres tâches quotidiennes des pêcheurs, comme la fabrication de filet et le nettoyage des bateaux. Durant les décennies suivantes, la pratique de la pêche évolue et l’industrie touristique apparaît. En terminant, on voit du haut des airs le rocher et le village de Percé en hiver.
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Durée : 4 min 21 sec